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et les Slaves de l’Ouest auraient été romanisés ; le cours de l’histoire eût été changé, La domination romaine s’arrêta au Rhin ; au delà commençait le domaine des « Barbares. »

M. Babelon a retracé, dans ses beaux ouvrages [1], toutes les phases de la pénétration française dans les régions rhénanes, depuis l’époque où le fleuve était la frontière des Gaulois et de Clovis, où Charlemagne le franchissait pour reporter jusqu’à l’Elbe les bornes de la civilisation chrétienne, jusqu’aux temps où la brillante culture française des XVIIe et XVIIIe siècles pénétrait jusqu’au Rhin et le dépassait, plus victorieuse encore que les armées de Louis XIV et de Louis XV, et où la Révolution et Napoléon y installaient la domination française. Toute une région riveraine du Rhin et de langue germanique, l’Alsace, fut complètement francisée de cœur et d’esprit ; les autres reçurent toutes, à des degrés divers, l’empreinte de notre génie national et il n’a sans doute tenu qu’aux hasards de l’histoire qu’elles ne soient restées incorporées de fait et de consentement à la France comme elles le furent sous le premier Empire. M. Julien Rovère a fortement montré, dans un livre plein de faits et d’idées [2], que l’influence française sur les bords du Rhin, préparée par toute l’histoire de la monarchie et solidement implantée par la Révolution et Napoléon, a survécu à la chute de l’Empire, malgré les déceptions qui lui vinrent des fautes de notre politique, et s’est perpétuée jusqu’à nous, malgré même 1870 et la fondation de l’Empire allemand. On ne saurait contester, en dépit des mensonges des historiens allemands, que la rive gauche du Rhin ait accueilli les Français en 1793 comme des libérateurs, qu’elle ait été assimilée, qu’elle soit restée fidèle à Napoléon Ier dont le souvenir vénéré y est devenu, après 1815, un symbole de liberté et d’égalité, que les Rhénans, devenus par force sujets du Roi de Prusse « Musspreussen) en vertu des traités de 1815, haïssaient les Prussiens, qu’ils les haïssaient encore en 1848 et souhaitaient l’apparition libératrice des armées françaises, qu’enfin en 1870 une victoire française eût été accueillie avec joie par

  1. Le Rhin dans l’histoire, (Leroux, 1916-1917, 2 vol. in-8.)
  2. Voyez la Revue du 1er octobre et du 1er novembre 1917, et Les Survivances françaises dans l’Allemagne napoléonienne depuis 1815, 1 vol. in-8, à la librairie Félix Alcan. Voyez aussi, de M. Ed. Driault : La République et le Rhin (2 vol.in-16, librairie du Recueil Sirey) ; de M. René Johannet : Rhin et France (1 vol. in- 16, Nouvelle Librairie nationale) ; etc.