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de l’Empire, des Hohenzollern et de tous les trônes, l’Allemagne, nivelée par la révolution, allégée de ses multiples dynasties, allait-elle évoluer vers une constitution unitaire et centralisée qui ne connaîtrait plus ni Prusse, ni Bavière, ni Hanovre, ni Hesse, ni Autriche même, ni aucun des anciens États, et où il n’y aurait plus que des citoyens allemands égaux en droits et en devoirs ? Ou bien, au contraire, les différentes fractions historiques des populations de langue allemande allaient-elles, suivant la pente de leurs traditions et de leurs affinités, se constituer en Etats autonomes, unis seulement entre eux par un lien fédéral ? La question est encore pendante ; elle est capitale non seulement pour les destinées de l’Allemagne elle-même, mais pour l’avenir de nos relations avec elle. De toutes les incertitudes que le traité de Versailles n’a pas tranchées, celle-là est la plus grave pour la sécurité de la France. Articuler une Allemagne pacifique à une Europe pacifiée, n’est-ce pas là tout le problème d’une paix durable ?

Parmi les régions naturelles et historiques de l’Allemagne, celle du Rhin a tenu dans l’histoire une place particulièrement brillante et développé une civilisation originale ; elle a sa personnalité très caractérisée, son unité dont le grand fleuve est l’artère centrale. Les populations indigènes, surtout sur la rive gauche, sont plutôt superficiellement germanisées que germaniques ; leurs ancêtres étaient des Celtes, et les tribus germaniques qui vinrent s’installer parmi eux s’assimilèrent la civilisation supérieure des Gallo-Romains. C’est un fait capital de l’histoire de l’Europe que la rive gauche du Rhin et, sur la rive droite, les « Champs décumates » jusqu’au fameux « limes » d’Hadrien, ont été latinisés ; la puissante civilisation de Rome, héritière de la Grèce et de l’Orient, complétée et rénovée par le christianisme, a laissé, partout où elle s’est établie à demeure, la marque indestructible de sa grandeur et de sa conception du gouvernement et du droit. De tous les événements de l’histoire européenne, il n’en est peut-être pas de plus déplorable que le désastre de Varus dans les forêts westphaliennes, car, sans cet accident, le Rhin ne serait pas devenu la borne du monde romain ; les légions auraient poussé leurs conquêtes jusqu’à l’Elbe et même jusqu’à cet isthme qui, de la mer Baltique à la mer Noire, forme la vraie séparation de l’Europe et de l’Asie ; les Germains