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Mais un jour il redevint tout lui-même. Ce ne fut point sans crainte et sans tremblement. Néron, dont le masque d’or brillait sur le fond gris de sa chambre d’étude, était devenu l’hôte terrible de son logis, l’implacable tyran de son imagination. Le poème de Nerone parut en 1901. Après l’avoir lu, mêlant à notre admiration quelque inquiétude, nous écrivions au poète : « Quelle musique ne faudra-t-il pas ! » Et lui, moins sensible à nos louanges qu’à nos alarmes, nous répondait : » « Quelle musique ne faudra-t-il pas ! Oui, j’ai forgé de mes propres mains l’instrument de ma torture. Je suis encore là, à souffrir. Mon cher ami, quel travail ! Et qu’elles sont aujourd’hui peu nombreuses, les notes dignes d’être mises sur la portée ! En aurai-je ? »

Il en eut, et plus d’une. A Milan, pendant l’été de 1912, Boito nous joua quelques fragments de ce Nerone, attendu si longtemps, si jalousement caché, qu’il en devenait légendaire. L’œuvre était alors à peu près, à très peu près achevée. Œuvre insigne, si tout s’y rapporte à ce que nous en avons entendu, si le musicien, mûri par un demi-siècle de méditation et d’expérience, égala cette fois son art à son esprit, l’un des plus étendus, à son âme, l’une des plus nobles qu’il nous fut jamais donné d’admirer et de chérir.

L’interprétation générale de Méphistophélès au Théâtre-Lyrique fut loin d’être mauvaise. M. Vanni Marcoux est un artiste supérieur. Avec la même puissance il chante, il joue le personnage de Méphistophélès, et j’ajouterais, si le mot n’était affreux, il l’« incarne, « le rôle, depuis Chaliapine, comportant une part, exagérée peut-être, sinon d’athlétisme, au moins d’effet plastique. Il est juste de féliciter en M. Polacco, d’abord le chef d’orchestre italien, puis le mari d’une cantatrice américaine, Mme Mason, « Marguerite), dont la voix est admirable de force et de pureté. Les chœurs ont droit à des compliments et le ténor (Faust) au silence.

Si Granados n’était digne de notre hommage funèbre, et ses assassins de notre haine, à peine parlerions-nous des Goyescas, représentées à l’Opéra, entre deux grèves. En ces trois tableaux, qui ne sont vivants que pour les yeux, il y a peu de musique, même de musique espagnole. Les amateurs de l’une et de l’autre, ou de l’une dans l’autre, en trouveront davantage ailleurs. En Espagne d’abord, chez Granados le premier, dont les danses pour piano sont d’un musicien plus national et d’un meilleur musicien. L’œuvre d’un Albeniz n’est pas encore assez connue. M. Albert Carré ne doit pas ignorer l’agrément des Zarzuelas de Tomas Breton : Dolorès, la Verbena de la Paloma. Nous savons qu’il sait tout ce que vaut, et vaudrait,