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et du pire. Les délicats, et les autres, (voir La Bruyère), y peuvent prendre un vif plaisir. L’orchestre est sommaire. En revanche, — il faut y revenir, — partout se soutient l’intérêt de la déclamation, de ce langage lyrique intermédiaire entre le chant mélodique et le récitatif à peine accompagné. Le rôle de Méphistophélès est des plus remarquables à cet égard. On y trouverait même, en certains monologues, la coupe et le tour que donnera Verdi, vingt et vingt-cinq ans après, à d’autres soliloques, ceux de son Iago et de son Falstaff. Mais à peine osons-nous hasarder une remarque, un .hommage, dont la modestie de Boito n’eût pas manqué de s’alarmer.

Enfin, et surtout, plus que jamais devant les disparates et les contradictions de l’œuvre, nous sentons, nous autres critiques, la vanité de nos essais, de nos efforts, et qu’à parler musique nous risquons souvent de ne rien dire. Mélodie, harmonie, déclamation, orchestration. Verdi justement écrivait un jour, à peu près : « Il y a de tout cela dans la musique. » A quoi, pensif, il ajoutait : « Mais il y a aussi la musique. » Et Faust lui-même, le Faust de Gœthe et de Boito, ne dit-il, ne chante-t-il pas à Marguerite : « Le sentiment, nomme-le comme tu voudras : bonheur, cœur, amour. Dieu ! Je n’ai point de nom pour cela. Le sentiment est tout ; le nom n’est que bruit et fumée, obscurcissant la céleste flamme. » Ainsi parfois, dans la musique de Méphistophélès, — et c’est alors qu’elle est la plus belle, — le sentiment est tout. Elle l’exprime et nous le communique, tantôt avec force, tantôt avec douceur ; mais quant à définir les formes, ou les signes, ou les moyens qu’elle emploie, n’est-ce point vanité d’y prétendre ? A notre tour, nous n’avons point de nom pour cela.

Le sentiment, et le plus profond, le plus mystérieux même, le musicien de Méphistophélès en a quelquefois surpris le secret et nous l’a révélé par tessons. Mélodie, mélodie italienne, c’en est une, et fort émouvante, que celle des deux strophes où Marguerite prisonnière mêle son désespoir et son égarement. Dans l’âme de Faust, et du Faust de Gœthe, Boito, même après Berlioz, aurait pu se flatter, — mais de quoi s’est-il flatté jamais ! — d’avoir « entrevu, » mieux qu’entrevu, l’infini du désir, du doute et de la mélancolie. Telle parole, telle réplique de Faust à Wagner, tandis que le maître et le disciple se promènent hors de la ville, au soleil couchant, est belle de lassitude et de songeuse tristesse. Il n’y a là pourtant que des intonations, des accents. Plus apaisé, plus serein, mais non moins émouvant nous paraît le monologue de Faust rentré dans son cabinet de travail. On sait que Berlioz aussi l’a traité. Et d’un tout autre style.