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d’abord, — ce mot, par hasard, est juste, — se compose d’une suite de scènes non seulement tirées, mais traduites, par un poète véritable, du premier Faust et du second. D’où l’impression de la variété plutôt que de l’unité dramatique. L’effet d’étonnement, pour certains, ne dut pas être moindre, jadis, et n’a pas tout à fait cessé. L’autre soir, au théâtre, une dame nous demanda si « vraiment, » dans Goethe, il était question d’une Hélène, et de l’Hélène du siège de Troie. Nous prîmes sur nous d’en répondre. Elle nous remercia, rassurée.

« Mazzini, » disait Veuillot, « Mazzini, homme intelligent, a entrevu quelque chose. » Très intelligent, le Boito de Méphistophélès nous apparaît aussi comme un précurseur. En son œuvre inégale, tantôt plus que médiocre et tantôt supérieure, il entrevit quelque chose d’une certaine musique, musique future, que sa patrie pas plus que la nôtre alors ne soupçonnait. Ici déjà, parmi trop de vieilles formules, des formes nouvelles surgissent, imparfaites sans doute, mais déjà plus qu’ébauchées. Formes générales, non pas tant de la mélodie, ou de l’harmonie, ou de l’instrumentation, que de la composition et de l’ensemble ; liaison resserrée entre les morceaux et les phrases ; discours musical plus continu ; importance accrue du récitatif ; déclamation plus large, plus aisée, plus soucieuse de l’expression ; partout plus de liberté, de fantaisie. Voilà l’ordre, étendu, comme on voit, et divers, où se révèle, par des lueurs ou des éclairs, l’intelligence intuitive et quasi divinatrice du musicien d’Italie.

Le personnage de Méphistophélès mieux que tout autre en rendrait témoignage. Ce n’est pas sans raison que l’ouvrage porte son nom. L’un des premiers traits de sa figure, « Prologue dans le ciel), est un scherzo, scherzo véritable, en deux « mouvements. » Et si par l’idée ou la substance musicale, il est de mince valeur, il vaut davantage en tant que signe d’une tendance, alors nouvelle, vers l’introduction de la symphonie dans l’opéra. « Vieille guitare, » disait Boito de son prologue. Encore une fois il se calomniait. Nous ne trouvons ici rien de « sec » et de « grimaçant, » hormis ce qui doit l’être : la figure du Malin. Le reste au contraire, et par contraste, consiste dans une longue, et large, et tendre, et religieuse effusion. « Ascensiones in corde sua disposuit. » En son Paradis, également d’après Goethe, un Schumann sans doute a disposé de plus magnifiques « élévations. » Mais celles-ci ne sont, tout de même pas d’un médiocre architecte sonore.

Il est difficile, à propos d’une œuvre italienne, de ne point parler de mélodie. En cet ordre-là, Méphistophélès renferme du meilleur