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mystérieux, cette page est d’une beauté puissante et par conséquent, chez Debussy, d’une rare, très rare beauté.

La Boite à joujoux, (troisième et dernier « moment musical »), ne consiste que dans la transcription, pour le théâtre et pour l’orchestre, d’une petite suite de danses primitivement destinée au piano. Elle n’a rien gagné, tout au contraire, à ce double grossissement.

Que Mlle Croiza chante Debussy, Fauré, Gounod, ou d’autres encore, on ne saurait trop louer la pureté de sa voix et de son style. Mais en écoutant la Damoiselle élue, le charme de l’interprète, seul, opérait en nous. Comme toujours, et même plus que jamais, l’œuvre nous laissait une impression de malaise et d’inquiétude. En les jours où nous sommes et pour les lendemains qui vont suivre, nous avons surtout besoin, fût-ce en musique, de raison, d’assurance et de force. Défions-nous d’un art qui s’évanouit et se dissout dans l’incertitude de ses pensées.

Au Théâtre-Lyrique toujours, nous n’avons pas entendu sans émotion, pour la première fois, l’œuvre d’un ami qui pendant plus de trente ans nous fut cher entre tous. Poète, musicien, et plus artiste encore, au sens universel du mot, tout cela, nul ne le fut jamais avec autant de modestie qu’Arrigo Boito. Il nous écrivait naguère : « Je vous envoie un petit livre qui contient des vers d’adolescent. Ne le lisez pas ; cela n’en vaut pas la peine, mais gardez-le en souvenir de moi. » Plus tard, après une audition, au concert, du prologue de Méphistophélès, nous en avions dit quelque bien. D’où cet autre billet : « Je suis très heureux de ne pas vous avoir trop déplu avec ma vieille guitare. Mais la psalmodie des femmes mérite toute votre réprobation. C’est sec, creux, grimaçant et banal. Je voudrais pouvoir redresser ce fragment, mais l’ensemble de la composition n’est plus d’âge à supporter une opération orthopédique. » Aussi ne l’essaya-t-il jamais. La plupart du temps et de parti pris, il se taisait avec nous de l’œuvre de sa jeunesse, — de ses vingt-six ans ! — que désavouait son esprit, sinon peut être son cœur. Il allait plus loin, si loin, qu’il avait fini par nous interdire d’en parler, surtout d’en écrire, et même, lui vivant, d’aller jamais l’écouter. Hélas ! la mort a levé la défense. Aujourd’hui, pieusement, et sans flatterie d’outre-tombe, il nous est permis d’y trouver un excès de rigueur.

C’est en 1868, — voilà donc plus d’un demi-siècle, — que l’opéra de Boito fut représenté pour la première fois en Italie, avec un insuccès éclatant. L’ouvrage alors était bien fait pour n’être pas compris, et de nos jours même il a de quoi surprendre encore. Le « poème «