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avait obtenu les suffrages de l’Institut. La Damoiselle excita son courroux. Elle jouit maintenant de la faveur publique. Poésie et musique, je confesse que je n’avais jamais compris grand’chose à l’élection de cette jeune personne. Les chandelles, au théâtre, ne me l’ont point éclaircie. D’après M. Robert de la Sizeranne, le poème de Dante-Gabriel Rossetto serait « un chef-d’œuvre de grâce et de subtilité. » Je trouve un peu de ce mérite, et beaucoup plus de ce défaut à la musique, oui, décidément à presque toute la musique de Debussy. On s’en va répétant que dans la Damoiselle, autour de la Damoiselle, il y a « l’atmosphère. » Peut-être, mais une atmosphère qui le plus souvent n’enveloppe aucune forme, ne baigne aucun objet. Si nous disions : aucune « idée, » on ne manquerait pas de nous ramener à la question, à la fameuse question d’Henri Heine : « Qu’est-ce qu’une idée ? Avez-vous l’idée d’une idée ? » Et le cocher Petersen avait beau répondre : « Une idée, c’est une bêtise qu’on se fourre dans la tête, » une idée, même en musique, est pourtant autre chose que cela. Une idée, et pas un musicien ne s’y trompe, c’est le sujet, proposé dès le commencement, puis suivi, développé, d’un prélude ou d’une fugue, ou seulement d’une « invention » de Bach, d’une sonate ou d’une symphonie de Haydn, de Mozart ou de Beethoven, ou d’une mélodie de Schubert. Voilà, pour ne parler que des classiques, ce qu’est une idée musicale. Et voilà ce qui manque le plus dans l’œuvre de Debussy, dans la Damoiselle élue, dans le Prélude à l’après-midi d’un Faune, dans Pelléas même, et dans six au moins de douze préludes pour le piano, que nous avons entendu jouer un soir, — et très bien, — par M. Marcel Ciampi. Mieux vaut, beaucoup mieux, l’autre demi-douzaine. La pièce intitulée Minstrels est spirituelle et brillante. Là, par extraordinaire, des thèmes, de vrais thèmes, chantent et dansent derrière la buée ou la gaze harmonique. Mais pendant ce temps là, certaines notes en frôlent d’autres, pour les émousser, les ouater en quelque sorte et leur ôter un peu d’une précision à quoi cette musique, ici même vague et flottante, ne saurait jamais se résigner. Dans une autre pièce, les Pas sur la neige, il y a pareillement une « idée. » Elle ne consiste qu’en deux notes, mais significatives, et qui toujours accolées, appuyées l’une à l’autre, semblent marcher, lentes et prudentes, sur un sol moelleux. C’est de la musique descriptive ; mais c’est aussi, tout simplement, de la musique. Des accords enfin, surtout des accords, évoquent la vision de la Cathédrale engloutie. Série de plans harmoniques, de vastes nappes sonores, étendues, étagées au-dessus de bruissements profonds et