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Stendhal, est d’un autre sentiment et d’un style plus soutenu. La musique y prend son temps et ses aises. Elle n’écourte et ne brusque rien. Elle se développe et s’épanche. Aussi bien, ce qui nous touche le plus, en ce duo, ce n’est pas le lyrisme final, quand viennent les derniers transports ; ce serait plutôt la première déclaration, par la sincère, profonde et chaude tendresse qu’elle respire. À côté de ces pages, peut-être un peu plus bas, une autre encore témoigne d’une sensibilité qui, chez les musiciens d’aujourd’hui, n’est pas très commune. Il y a dans Gogol une scène admirable, celle où les fils de Boulba, près de suivre leur père au camp, reçoivent les adieux et la bénédiction de leur mère. Si la musique ici n’atteint pas à la grandeur de la poésie, l’arioso maternel n’est pourtant pas une chose insignifiante. Également éloigné de la sensiblerie et de l’emphase, la forme en est pure, le style sobre et l’émotion contenue. Pas de cris et pas de sanglots ; pas de ces vulgaires effets, que la voix de contralto, (celle qui chante ici), va trop souvent chercher sur ses notes basses. Tout en se développant, la mélodie s’enferme dans un espace restreint et comme dans un cercle intérieur. Logique autant qu’expressif est le discours ; simple, sans être banal, le plan ou l’ordre de l’harmonie et de la tonalité. Ces pages-là témoignent d’un art discret et distingué. D’autres encore leur ressemblent. La nuit, dans le camp des Cosaques endormis, la camériste de Xénia s’est glissée. Pour sa maîtresse, qui meurt de faim et de misère, elle vient faire appel à l’amour d’Andry. Le premier mouvement du jeune homme est de dérober un sac rempli de pains que son frère a pris pour oreiller, le second est de suivre la messagère, un peu bien vite écoutée. C’est l’affaire d’un instant, de quelques gestes et d’un jeu de scène. Esquivant, elle aussi, la péripétie morale que les paroles n’ont pas même indiquée, la musique en a du moins, avec la distinction et la discrétion que nous venons de signaler, traduit les dehors visibles. Pour y arriver et pour y réussir, elle s’est faite en quelque sorte prudente, furtive, sonore avec précaution et, par moments, toute proche du silence. Musique de demi-teinte et de clair-obscur, elle ne procède que par touches légères, par des accents, des lueurs d’orchestre étouffées aussitôt qu’apparues. Trop peu de musique, diront ici les difficiles. Il en fallait tout de même un peu, qui s’y trouve, et qui suffit à donner l’impression du péril, de l’inquiétude et du mystère. Je connais, dans certaines œuvres de l’école française, des passages de ce genre et de ce goût. C’est dans Manon, (à l’acte du Cours-la-Reine), le délicieux a-parte de Manon et du comte des