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ennemie, commençant par la ravitailler, elle et son père, mais aux ennemis. Il les rejoint et, se mettant à la tête des assiégés, il délivre la ville et remporte sur les siens, les assiégeants, une victoire impie. Son hymen avec Xénia, comme bien vous pensez, en est la récompense. Mais, le soir des noces, et sur le seuil de la chambre nuptiale, sa mort, de la main de son père, en est le châtiment. L’histoire, dans Gogol, ne finit pas tout à fait de cette manière. Mais il n’importe.

Ainsi douceur et violence se partagent le sujet. Des deux aspects, ou des deux éléments, le premier nous paraît avoir inspiré le mieux le musicien. Non pas qu’en certains « endroits forts, » d’une force allant parfois jusqu’à la brutalité, ses moyens le trahissent. Ni l’énergie ne lui manque, ni l’instinct du théâtre. Plus capable peut-être de sentiment que d’action, sa musique sait pourtant, quand il le faut, agir, animer et passionner une foule, ou du moins un groupe nombreux. La preuve en est dans les chants bachiques et guerriers des Cosaques attablés et près de partir en campagne ; auparavant, dans le tableau plus que vivant, grouillant et hurlant, des marchands hébreux houspillés, puis assommés par les dits Cosaques. Le conflit ou le désordre, — apparent, — des chœurs ; à l’orchestre, (je ne sais plus très bien où ni quand, mais c’est dans les régions ou les registres graves), l’insistance opiniâtre d’un thème rude, voilà des marques certaines de ce qu’on a le tort de nommer le « tempérament, » quand on veut plutôt désigner le caractère.

Vogüé disait du récit de Gogol : « La partie amoureuse est franchement mauvaise ; c’est du placage littéraire, sans l’ombre d’un sentiment personnel, le dernier mot du genre troubadour. La belle Polonaise pour qui le jeune Boulba trahit ses frères, est copiée sur une estampe de 1830. Les scènes de passion ont été vues sur les tapisseries de l’époque, où Roméo fait pendant à Juliette. »

Cela peut être vrai du poème ; de la musique, non pas. Si banal ici que soit l’amour, il a, plus heureusement encore que la haine ou la colère, servi le musicien. A la vérité, le premier acte, tout en propos galants, est peu de chose. Facile et rapide, le dialogue se tient ou se meut au-dessus d’un orchestre léger. Éparpillée, hachée menu, la musique, ainsi qu’il arrive trop souvent aujourd’hui, nous est débitée au détail et, pour ainsi parler, en miettes. On souhaiterait de temps à autre une tranche, un morceau. Mais au quatrième acte, entre « nos gens rejoints, » dirait La Fontaine, un duo d’amour, non plus d’« amour-goût » celui-là, mais d’« amour-passion, » eût dit