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Au lendemain de la Révolution, les idées de 89 et de 93 auraient pu créer un état de choses, terrible sans doute, mais cohérent : d’autres idées les ont détruites. Au lendemain d’Austerlitz, un régime s’est installé, qui aurait pu être durable : des idées anciennes l’ont démoli ; et puis ces revenantes ont dû laisser la place à des idées nouvelles. Certains héros sont, dans l’histoire, les représentants de certaines idées plus ou moins pures et préservées ; les foules représentent la fureur des idées : et le triomphe des héros n’est point assuré dans l’histoire plus que le triomphe des idées dans la réalité illogique.

Ses romans contemporains, Paul Adam les a traités comme de l’histoire ; et notre époque lui offrait, plus ardemment que nulle autre, le spectacle des idées en folie. De sorte que l’idéologue était content, non pas le logicien ; mais l’idéologue arrivait à consoler le logicien. L’étude de l’histoire et l’étude de notre époque amena Paul Adam à ne plus concevoir la vie humaine, la vie des collectivités et des nations sous l’aspect d’un syllogisme ou d’un sorite bien dérivé. Les idées ne font pas de la logique : elles font un prodigieux désordre, où d’ailleurs elles ne sont pas seules, mais où rivalisent avec elles les sensualités, les convoitises, les sottises. Désordre où il faut pourtant se reconnaître ; et désordre qu’il faut aimer, non pour lui-même ! évidemment, mais pour les admirables puissances qui sont en lui et qui, dégagées par le lucide et vigoureux effort de l’élite, produiront leur efficacité ou bienfaisante ou la meilleure : lisez Le trust.

Je n’ai pas résumé les soixante volumes de Paul Adam ; je n’ai pas indiqué, en quelques pages, la profusion d’images, de sentiments et de doctrines que son œuvre ingénieuse et immense prodigue. Elle a, son œuvre, de la ressemblance avec notre temps, où il y a de la confusion, de l’opulence, de la splendeur et de l’espoir. Il bâtissait son œuvre singulière, très large, très haute, d’une architecture bizarre et superbe, où le faîtage manquera. Il ne ménageait ni les matériaux, ni l’invention, ni le zèle. Il était un extraordinaire ouvrier de littérature et de pensée. Il était fort, il était habile ; et il avait l’entrain de son génie. C’est dommage que Paul Adam soit mort, quand la France a besoin de ses fils les plus certainement destinés à la gloire, pour que brille son intelligence égale à ses vertus.


ANDRE BEAUNIER.