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Orner Héricourt, un moment de l’incertitude française, est un symbole. Et peut-être convient-il que les personnages de romans historiques, s’ils ne sont pas des personnages historiques, soient des symboles de l’histoire. Ainsi, la vérité est préservée. Où Paul Adam a réussi avec un art excellent, c’est à réaliser le symbole et à lui donner la vie, la vivante particularité sans lui ôter ce caractère général et cette ampleur de signification qui lui permettent de jouer son rôle, non pas dans une anecdote, mais dans l’histoire. Et voilà réunies, comme l’avait souhaité dès longtemps cet écrivain si volontaire, les deux esthétiques ou, mieux vaut dire, les deux philosophies entre lesquelles, dans sa jeunesse, il refusait de choisir, afin d’opérer leur synthèse, le réalisme et le symbolisme. Il est parvenu à peindre la réalité pleine d’idées.

Seulement, si les idées habitent la réalité, elles n’y ont pas la vie commode. Analogues à des âmes, les idées n’ont pas dans la réalité un domicile meilleur que les âmes dans les corps. Elles trouvent des empêchements ; et, mal installées, en désordre, elles ne se rangent pas : elles arrivent à se chamailler. Et Omer Héricourt n’est pas un logicien : la France, depuis le soleil d’Austerlitz et jusqu’au soleil de juillet, n’a pas été logicienne. Historien véridique, Paul Adam n’a pas montré, dans le passé, le déroulement logique des idées, mais le tumulte des idées. Il y en a qui meurent, d’autres naissent et, quand elles vont s’épanouir, elles se fanent ; d’autres, qui semblaient mourir, ont des sursauts et recommencent de vivre. C’est une bataille, avec des péripéties, des hasards ; et le plus fort est victorieux, le plus fort ou le plus adroit : le vainqueur ne sait pas toujours profiter de sa victoire.

Anne Comnène, parmi les Princesses byzantines, est une héroïne parfaite et malheureuse. Voici le drame de son existence : elle a des vertus que son temps ne tolère pas ; elle eût été heureuse et révérée « aux jours sereins et magnifiques de Bossuet, » tandis que la frénésie de Byzance la tue. Anne Comnène est l’image d’une idée que les hasards n’ont pas favorisée.

Mahaud de Horps, dans Être, magicienne et que son père a initiée au Grand Art, et qui lutte pour soi, pour la défense de son être, Mahaud « plus éclairante que le jour » triomphe par la certitude ; mais elle est conduite au supplice. En quel temps se fût imposée la suprématie de Mahaud ? Peut-être y a-t-il des idées, et les plus belles et pures, qui n’ont jamais leurs circonstances favorables et dont l’univers ne profite pas.