Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

auxquels n’ont point échappé beaucoup de romans historiques : en général, le roman nuit à l’histoire et la fausse ; ou bien l’histoire accable, étouffe le roman. Les romanciers désinvoltes fabriquent un passé de fantaisie ; et l’on se demande pourquoi ils ne se sont point avisés de placer dans la fantaisie pure et simple une péripétie romanesque, plutôt que d’offenser comme à plaisir la vérité d’une époque. Les romanciers savants et méticuleux entassent une information toute fraîche et tout à fait insignifiante. Paul Adam, ses lectures lui ont fourni les détails dont il avait besoin. Mais ce qui l’a servi, plus que la quantité des petits documents, c’est le sens de l’histoire, qui était l’une des qualités éminentes de son esprit ; et, si l’on veut, c’est l’imagination de l’histoire. On dirait que ces deux mots ne vont point ensemble, si l’histoire se nourrit de vérité, tandis que l’imagination ne lui offre que sa rêverie. Pourtant, il est certain que les documents ne suffisent pas à ressusciter le passé ; même nombreux, ils ne sont que des fragments de vérité. En outre, la vérité flambait : et ces fragments éteints ne contiennent plus la flamme de la vérité. Il faut que l’imagination les recompose et aussi leur rende une ardeur que la cendre a couverte. L’imagination seule est en mesure de ranimer l’histoire. Mais il faut qu’elle ne crée pas une autre histoire que la vraie histoire ; il faut qu’elle ait le don de vérité. L’auteur de La Force, de l’Enfant d’Austerlitz, de la Ruse et du Soleil de juillet avait l’imagination de l’histoire.

Secondement, il a très bien choisi son personnage du jeune Omer Héricourt, enfant conçu dans la gloire d’Austerlitz quand sa mère eut rejoint, aux bivouacs de Moravie, l’époux en train de conquérir l’Europe. Ce garçon qui va grandir au lendemain de l’épopée impériale, qui parmi ses aïeux a des royalistes et des jacobins, des catholiques fervents et des athées, qui a dans le sang les velléités de l’énergie belliqueuse et à qui manque désormais l’emploi d’une telle énergie, Omer Héricourt, c’est la France au sortir de ses tribulations les plus profondes, la Terreur et l’Empire. Il hésite et il souffre. Dans son malaise, il désire un enthousiasme et une foi. Les occasions de croire et d’être passionné se multiplient près de lui : les francs-maçons et les prêtres, les bonapartistes survivants et les royalistes obstinés, les saint-simoniens et les fouriéristes lui offrent à qui mieux mieux leurs évangiles, leurs affirmations impétueuses, leurs négations impatientes. Au règne de la force, le règne de la ruse a succédé ; un idéal se détériore, un autre se prépare. Et c’est à savoir, si le soleil de juillet vaudra le soleil d’Austerlitz !...