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l’élite est la minorité inefficace. Il voit, et le voit partout, « le triomphe des médiocres. » C’est le titre d’un de ses livres. Le médiocre a toute la puissance et il délègue sa puissance à des représentants dignes de lui : « Il triomphe, barbare suprême, contre la lumière de l’Idée. » Le monde antique a subi la catastrophe abominable des grandes invasions, quand les barbares sont venus d’Orient saccager le chef-d’œuvre de la pensée accomplie. Notre monde moderne subit une invasion nouvelle, et terrible également, l’invasion des médiocres. Et le désastre sera le pire, à notre époque où le « prochain bonheur » est signalé : « L’Idée illumine. Elle veut resplendir, Messie, pour le rachat de nos douleurs. Encore un pas : les sciences et les arts font à nos descendants l’existence rêvée par les anciens pour leur dieux. » Voilà ce que les médiocres empêchent : et, le « prochain bonheur » qu’ils ont perpétuellement retardé, voilà leur crime.

Les médiocres sont les négateurs de l’Idée. Ils sont les créateurs de l’absurdité. Ils ignorent les lois de la logique. Et Paul Adam voudrait que la logique fût souveraine. On dira que cela ne s’est jamais vu : il ne dit pas le contraire ; mais il déplore de n’avoir pas à le dire. L’activité humaine se déploierait si bien, guidée par la raison ; et elle se gaspille dans l’incohérence. En 1898, Paul Adam constatait que l’Europe entière était paralysée, du fait qu’on n’eût pas résolu encore l’angoissante question des provinces que l’Allemagne nous avait arrachées en 1871. Or, disait-il aux Français, qu’attendez-vous ? Il faut en finir. Vous ne renoncez point à l’Alsace ni à la Lorraine : reprenez-les. Ce n’est pas impossible ; soit qu’un traité vous les rende, si, en échange, vous cédez « à l’appétit colonial de l’Allemagne l’une de nos possessions exotiques, » ou si vous tâchez de vous acquitter à prix d’argent : soit qu’il vous plaise de recourir aux armes, « et alors il n’est plus de motif de retard. » Vous n’essayez ni le moyen des armes ni le moyen de la diplomatie, comme l’exigerait la logique. Cependant, vous ne confirmez pas de votre acquiescement le traité de Francfort : vous n’avez point de lâcheté. Mais vous n’avez pas de logique ; et vous laissez durer la situation la plus fausse, qui vous gêne et qui gêne l’Europe : « il faut une solution ! » En 1908, dans la Morale de la France, Paul Adam revient à cette exhortation véhémente. Nous avions récupéré, il y a quelque dix ans, toute notre vigueur militaire, disait-il ; nous pouvions alors dresser devant l’ennemi une armée formidable, munie de l’artillerie la meilleure : que faisons-nous ? « Les uns, en affirmant la décadence de notre armée, l’ineptie de nos ministres et l’insuffisance de nos moyens, les