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soit dévolu le soin de diriger le pays. Et l’on dira qu’il attribue trop d’importance au diplôme de bachelier. Sans doute ! Et l’on citera cette parole de Sénèque : « Nous souffrons d’un excès de littérature. » Mais enfin, si l’excès de littérature a tourmenté les contemporains de Sénèque, la prépondérance des illettrés, que nous avons connue depuis lors, en est-elle moins redoutable ?

Pendant la guerre, en 1916, Paul Adam publia ce brillant essai, La littérature et la guerre. Il y déroulait avec ampleur les annales de l’humanité depuis les temps les plus lointains et, il faut l’avouer, les moins précisément connus, puis à grands traits l’histoire de la France depuis Charlemagne qui a « dompté la Germanie » jusqu’à ces jours calamiteux où l’on avait encore la Germanie à dompter. Il prétendait établir que tout le mal venait de ce discrédit où il considérait que l’intelligence était tombée. Il écrivait, pour conclure : « Cette guerre, une fois de plus, prouvera que les littérateurs d’une génération font les idées, les mœurs d’une génération suivante, et que leur savoir encyclopédiste prévoit les événements trop méconnus par l’ignorance des majorités politiques et de leurs chefs. » Et il écrivait : « Si la Chambre et le Sénat avaient entendu les littérateurs, la République déjà tiendrait la victoire. » Il ajoutait : « D’ailleurs, est-il un Français intelligent pour ne pas regretter que, de 1860 à 1880, son pays ait été gouverné par les Rouher, les Ollivier, les Gambetta, quand il eût pu l’être par les Michelet, les Taine, les Renan, les Albert Sorel ? Il suffit de feuilleter les discours des uns et les œuvres des autres, après les chapitres douloureux de nos annales. » Je ne suis pas sûr que ce soit la littérature qui ait manqué aux hommes d’État dont Paul Adam n’admire pas le gouvernement ; et, si l’éloquence a quelque rapport avec la littérature, on trouverait peut-être qu’un excès de littérature les a quelquefois détournés de l’exacte réalité où ils avaient affaire. Je ne suis pas sûr que le gouvernement de Michelet fût désirable ; et je ne crois pas que Taine eût accepté le gouvernement. Si l’on observe aussi, avec chagrin, que la plupart des corps de métiers qui sont allés au pouvoir, depuis un demi-siècle environ, n’y ont pas tous réussi le mieux du monde, l’amitié que l’on a pour la littérature vous invite à ne pas l’embarquer dans cette aventure si périlleuse. Du reste, je n’ai cité ces passages de Paul Adam qu’afin de montrer comme il a cru, sans défaillance, à la suprématie de l’intelligence et au gouvernement des idées.

Cela posé, Paul Adam constate que son rêve ne s’est jamais réalisé. Il réclame la prépondérance pour l’élite : et il voit bien que