Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/69

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

comte Mouravieff trouvait habile de s’en servir en manière d’échappatoire. J’eus quelque peine à persuader à ce diplomate que telle était en effet la méthode adoptée par notre ministre des Affaires étrangères dans ses rapports avec le souverain.

Nous avons déjà vu que le comte Lamsdorff, qui succéda au comte Mouravieff en 1900, renchérit encore sur cette méthode et poussa l’effacement jusqu’à rester à son poste, alors même qu’il n’en exerçait plus les fonctions que nominalement, et que l’Empereur réglait les affaires les plus importantes de son département avec M. Bezobrazoff et ses acolytes.

Pour clore la liste des ministres qui influèrent sur la formation du caractère de Nicolas II, je n’ai plus qu’à nommer M. Plehve, successeur de M. Sipiaguine au ministère de l’Intérieur. Avec lui, on eut affaire à un personnage d’une envergure bien plus considérable. Doué d’une intelligence remarquable et d’une puissante volonté, il poursuivit inlassablement son but, qui était de renforcer le pouvoir autocratique et le système de centralisation bureaucratique. Type accompli du policier, il était absolument sans scrupules dans le choix de ses méthodes, dont quelques-unes eurent un caractère surprenant. C’est lui qui organisa, avec l’aide d’un certain Zubaloff, des associations ouvrières qui devaient combattre l’influence des socialistes en recourant aux mêmes moyens que ceux-ci, c’est-à-dire à des grèves, — mais dirigées en sous-main par la police secrète. Et c’est encore à lui qu’il faut attribuer la paternité du système policier consistant à se servir d’agents à double face, qui servaient simultanément le gouvernement et les terroristes, et dont le plus célèbre, Azeff, a été démasqué par le publiciste russe M. Bourtzeff. M. Plehve fut lui-même une des victimes de cette stupéfiante organisation, car il périt à la suite d’un complot auquel Azeff, comme il fut démontré plus tard, prit une part active, aussi bien qu’à celui auquel succomba, peu de temps après, le grand-duc Serge.

Le ministère de M. Plehve coïncida avec les prodromes de la guerre russo-japonaise. Parfaitement renseigné sur la valeur de M. Bézobrazoff et de ses amis, non seulement il ne fit rien pour combattre leur influence auprès de l’Empereur, mais, renouvelant l’erreur qui a perdu tant de régimes et qui consiste à chercher dans une guerre extérieure un dérivatif à un mouvement révolutionnaire à l’intérieur, il poussa de toutes ses forces