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semble la conclusion normale de ses idées et que le mot « russe » est mis ici pour « révolutionnaire. » On verra que M. Bernard Shaw n’imagine pas de meilleur remède à l’immoralité de la société bourgeoise, qu’un cataclysme heureux et que le révulsif d’un bon chambardement. C’est le traitement hygiénique qu’il propose pour nous corriger et pour nous rendre bien portants.

A cela près, il n’y a rien de russe dans sa nouvelle comédie. Le Château des cœurs est le tableau de l’Angleterre riche et cultivée d’avant la guerre. C’est cette partie de la classe oisive qui menait l’été la vie de château, « et où les plaisirs de l’esprit — la musique, l’art, la littérature, — avaient remplacé les antiques plaisirs de la chasse, du flirt et de la table. » C’était un monde délicieux, une petite Capoue, mais d’une totale futilité : des gens charmants, intelligents, qui lisaient, qui causaient, mais qui avaient horreur de la vie et de l’action. Quand on y allait — je cite toujours la préface de l’auteur, — passer le week end du samedi au lundi, vous trouviez sur la table de votre chambre à coucher les livres de Butler et de Galsworthy, les poésies de Meredith et de Thomas Hardy ; sans ces échantillons de la pensée moderne, la maison n’aurait pas été « dans le mouvement. » Cependant, cela ne changeait rien aux manières de cet aimable petit monde. C’était vraiment, dans les bons jours, un endroit délicieux pour séjour de vacances.

Le Château des cœurs est une pièce sur l’influence des femmes et sur l’importance excessive qu’elles avaient prise avant la guerre. « Qu’importe qui de ces Messieurs est au gouvernement, dit quelque part dans la pièce la charmante Mrs Hushabye, tant que c’est nous qui vous gouvernons, nous autres, les jolies femmes ? » Cette question est une de celles qui tiennent au cœur de M. Shaw. Nous pourrions lui répondre qu’en France nous avons toujours laissé un très grand rôle aux femmes, et que nous n’avons pas à nous en plaindre. L’époque par excellence du règne de la femme, le XVIIIe siècle, a été une des plus fécondes sous le rapport des idées : l’empire féminin n’y a pas été seulement celui de la sensibilité, mais celui de la raison, de la philosophie. Peut-être toutefois n’est-il pas absolument sain pour une société de trop s’abandonner au charme de la femme. Le génie féminin représente, en même temps que la grâce, un élément de caprice et de légèreté qu’il n’est pas bon d’introduire dans l’organisme à haute dose ; il