Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/681

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

curieux de savoir ce que l’auteur penserait de la guerre. C’est une question à laquelle son livre n’apporte pas de réponse claire. On n’est pas à l’aise pour tourner la guerre en dérision, au moment où tant de braves gens se font casser la tête pour une autre opinion. M. Bernard Shaw l’a compris : il était difficile de s’intéresser à des drames imaginaires, alors qu’il s’en jouait un si réel et si terrible. L’auteur s’est borné à écrire des pièces de circonstance, des impromptus, des farces fort gaies pour la récréation des troupes. La charmante pochade intitulée : O’Flaherty, V. C. [1] est un échantillon de la psychologie irlandaise, que je recommande aux Français qui se flattent de comprendre la question du « Home Rule. »

Mais j’ai hâte d’arriver à la pièce principale du volume et qui en constitue le morceau de résistance. Heartbreak house pourrait se traduire par le titre d’une comédie de notre Gustave Flaubert, le Château des cœurs, ou plus exactement le Château des peines de cœur. C’est encore une fois la comédie de l’amour, comme l’étaient naguère Candida et Homme et Surhomme. L’auteur revient au sujet favori de l’écrivain moraliste. « Fantaisie russe sur des thèmes anglais, » annonce cette fois le sous-titre de la pièce : on peut interpréter ces mots de façons différentes. L’auteur veut-il donner son œuvre pour une imitation de drames d’Anton Tchekow, dont quelques-uns furent joués à Londres peu de temps avant la guerre ? Sa préface nous avertit que, lorsqu’il commença d’écrire, on n’avait pas tiré encore un coup de canon. Mais ceci ne s’applique certainement qu’aux premières scènes : le dénouement ne peut avoir été conçu que pendant la guerre. On trouvera d’ailleurs dans le même volume deux petites comédies qui sont aussi des « fantaisies russes : » l’une est un morceau de bravoure, un sketch d’une verve exceptionnelle sur la Grande Catherine, rôle joué par miss Kingston au mois de novembre 1913 ; la seconde, Annajanska, impératrice des bolshévistes, le fut par Lillah Mac Carthy en janvier 1918. Ces dates montrent que l’ancien disciple de Strindberg et d’Ibsen est de plus en plus préoccupé par la psychologie et la morale slaves. On peut supposer que l’auteur du Manuel de la Révolution a rencontré dans le monde russe la formule de bouleversement qui lui

  1. Victoria Cross, distinction militaire des plus rares.