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shavien qui consiste à scandaliser pour faire réfléchir ; un esprit à base de critique qui aime à prendre le contre-pied des vérités admises, s’amuse à battre en brèche les conventions et la morale, à cribler de sarcasmes les notions communes du devoir et de la vertu, et dont l’arme ordinaire est l’emploi de l’ironie. Ainsi, depuis trente ans, M. Shaw se divertissait à passer en revue toutes les idées consacrées, famille, patrie, amour, justice, et à nous montrer en riant le néant de ces idoles. C’était un grand iconoclaste. C’est lui qui, pour ne citer qu’un exemple fameux, écrivait toute une comédie, l’Homme et ses armes, — d’ailleurs extrêmement brillante, — pour prouver que l’art militaire consiste à tourner les talons toutes les fois qu’on n’est pas deux contre un, et que dans une bataille il est beaucoup plus important d’avoir du chocolat que des balles dans ses cartouchières. Ce genre d’espiègleries faisait fureur il y a vingt ans.

Avec tout cela, il y a chez le « Molière anglais, » — comme on a si improprement qualifié M. Shaw, — une passion de réformateur et une idée fort sérieuse de la mission du théâtre. Ses comédies en pâtissent, mais c’est tant pis pour elles. L’auteur pense que la société est mal faite, et il s’emploie de tout son pouvoir à la rendre plus raisonnable. On l’étonnerait fort en lui disant qu’il y a en lui du prédicant : ce serait pourtant la vérité. Il a beau se réclamer du diable, faire la guerre au Décalogue et aux « sept vertus capitales, » qu’il trouve plus « mortelles » que tous les péchés du monde, il n’en est pas moins un moraliste et un apôtre à sa manière. On lit dans la préface de sa nouvelle comédie un long passage où il se plaint que le monde entier se soit occupé du bombardement de la cathédrale de Reims, tandis que personne ne s’est ému quand une bombe d’avion a détruit le Little Theatre, qui est un peu le Théâtre-Antoine de là-bas, en risquant de tuer par-dessus le marché deux auteurs dramatiques qui vivaient dans le voisinage. Le morceau n’est pas de très bon goût, mais il est tout à fait dans la manière de M. Shaw. Ne serait-ce pas que M. Shaw montre ici le bout de l’oreille et, dans ce nouvel épisode de la vieille querelle de l’Eglise et du théâtre, ne faudrait-il pas voir une rivalité d’influence et la lutte de deux pouvoirs qui se disputent l’empire des âmes ?

Pour qui connaissait les idées de Man and the arms, il était