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ou d’indemnités ne seraient plus acceptées sous forme d’amendements ou d’articles additionnels. Bien fragile était la barrière, et d’autant plus insuffisante que nulle limitation n’était apportée aux droits de la Commission du budget, ni à ceux des députés en dehors de la loi de finances annuelle. De fait, les accroissements de dépenses d’initiative parlementaire continuèrent comme par le passé : en 1912, ils s’élevèrent à 138 millions, en 1913 à 116 millions, et encore ces chiffres ne disent-ils qu’une partie de la vérité, car les crédits votés étaient d’ordinaire destinés à s’augmenter d’année en année. Et nous ne dirons rien des abus dont le droit d’initiative a donné le spectacle pendant la guerre, et depuis…

Il faut le dire, il n’y a rien à espérer, et tout est à craindre, si, à chaque budget, l’équilibre que le Ministre des finances doit s’efforcer, coute que coûte, d’établir entre les recettes et les dépenses, est inévitablement rompu par les votes irréfléchis d’une assemblée gaspilleuse et irresponsable. La représentation nationale a pour mission d’allouer des crédits, d’autoriser des recettes, et non de pousser aux dépenses. Il faut un frein, il faut que la Chambre soit privée du droit de proposer des dépenses, et se contente de celui d’accorder ou de refuser les crédits demandés par le gouvernement, lequel seul doit avoir l’initiative, étant seul informé quant aux besoins, seul à même de savoir et de prévoir, et seul responsable de l’équilibre. Telle est la tradition en Angleterre, où, selon sir Erskine May, « les Communes ne votent de fonds que ceux qui sont requis par la Couronne, » et s’il y a quelques exceptions à la règle, elles sont trop restreintes et d’application trop rare pour ébranler le principe qui veut que le droit de proposer des dépenses soit réservé au gouvernement. Ce principe, il faut le faire nôtre. On dit que la Constitution s’y oppose. Le doute est permis, car, selon de savants auteurs, le budget n’est pas un acte législatif, mais un acte administratif, ce qui fait que rien ne s’oppose à ce que l’initiative parlementaire soit restreinte en matière budgétaire si elle ne l’est pas en matière législative. La Chambre nouvelle, consciente de son devoir, peut d’ailleurs s’interdire à elle-même, et cette fois complètement, l’exercice d’un pouvoir dont l’abus met manifestement nos finances en grave péril. En tout cas, d’une façon ou de l’autre, la réforme s’impose, dans l’intérêt supérieur de l’équilibre.