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qu’il n’avait « pas l’amour, mais bien la rage du bien public, » aurait réussi, s’il en avait eu le temps, comme avait réussi Colbert au XVIIe. Et le plus grand de tous, peut-être, avait été Sully, dont le caractère dur et farouche « épouvantait » les quémandeurs, — « ses yeux et ses mains faisaient peur, » dit un contemporain, — impopulaire parce qu’il savait dire non, qui ne souffrit ni dilapidation ni gaspillage et laissa riche un royaume qu’il avait trouvé pauvre et obéré.

Chose étrange : l’autorité responsable, en fait de finances, la France, dans son régime actuel, ne la possède pas. Ce devrait être, dans le gouvernement, le ministre des Finances. Mais le ministre des Finances de la République n’est plus le contrôleur général des dépenses de la Monarchie ; il n’appartient pas, comme remarquait déjà un ministre de la Restauration, « à ce modeste continuateur des Sully et des Colbert, d’entrer dans les détails de l’administration de ses collègues, d’apprécier l’utilité, la nécessité, l’urgence de leurs dépenses et d’arrêter à son gré les services publics. » La Constitution ne lui donne aucun privilège sur les autres ministres. « Il n’a sur eux d’autre influence, a écrit M. Léon Say, que celle que lui assurent sa compétence spéciale et la situation politique qu’il peut avoir dans les Chambres ; il est généralement peu écouté, et ses collègues ne lui facilitent guère sa tâche. »

En Angleterre, le chancelier de l’Échiquier jouit d’une primauté traditionnelle sur les autres ministres. Leurs demandes de crédit sont accordées ou rejetées par la Trésorerie [1], qui contrôle leurs dépenses, qui est l’arbitre de leurs budgets ; son action a beau avoir perdu en autorité depuis qu’elle est devenue, en 1908, avec M. Lloyd George, un département dépensier, son droit subsiste et oppose aujourd’hui encore un obstacle sérieux au gaspillage. Les mœurs politiques font toujours du chancelier de l’Echiquier le dépositaire des bonnes règles, le garant de l’ordre financier, le « ministre de l’Équilibre. »

Chez nous, rien de pareil. Notre ministre des Finances a dans sa charge la préparation du budget annuel : les départements ministériels lui adressent à cette fin, tardivement d’ordinaire, leurs projets budgétaires ; il les examine en faisant

  1. Sous certaines réserves, en ce qui concerne la guerre et la marine.