Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/667

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Comprenons bien, en effet, qu’il n’y a pas d’impôts qui puissent jamais suffire à alimenter les budgets monstres tels qu’on nous les annonce pour un avenir très prochain, et dont il semble qu’on se fasse un jeu de grossir les chiffres. Si l’on n’arrive pas à en contenir l’accroissement, c’en est fait de l’équilibre de nos finances. Qu’on ne croie pas que les sources fiscales soient intarissables, et qu’on puisse y puiser toujours sans jamais les épuiser. A côté de la clientèle électorale, il y a une masse de citoyens qui, après tout, ont bien le droit de vivre, eux aussi : ce sont les contribuables. Il y a une limite aux facultés contributives d’un pays : délicate à fixer, peut-être, mais elle est. On dit : les riches paieront. Quelle niaise illusion, ou quel coupable appel aux basses convoitises démagogiques ! Le revenu des « riches, » si l’on entend par « riches » tous ceux qui ont plus de vingt mille francs par an, — est-ce bien là la richesse ? — n’était en France en 4917 que de 3 275 millions, et l’on voit tout de suite que, leur prendrait-on tout, ce n’en serait pas assez, tant s’en faut, pour « boucler » le budget. Le contribuable a d’ailleurs des moyens de défense ; il peut faire grève, lui aussi, j’entends qu’il peut renoncer à produire, s’il voit qu’à produire il n’a plus intérêt parce que le fisc abuse : c’est ce qui est arrivé dans la Rome impériale où les Curiales, sur qui pesait tout le poids de l’impôt, désertaient leur classe. Au delà d’un certain point, la taxation s’élude, la matière fiscale s’évade ou s’évanouit. Il n’y a d’impôt qui rende que celui qui est accepté par le contribuable.

Il est prêt, ce contribuable, à payer tout ce qu’il faut : seulement il n’entend pas être taxé au delà du nécessaire, — ce nécessaire, il le sait, sera déjà fort gros, — et il exige que les pouvoirs publics fassent au préalable de leur côté toutes les réductions budgétaires qu’impose la dureté des temps. Ce qui l’inquiète, c’est moins d’avoir à compter pour l’avenir avec des charges très lourdes que de ne savoir point sur quoi compter, et de pas voir de fond au tonneau des Danaïdes de nos budgets. Que l’État continue à vivre largement, comme autrefois, et se laisse aller aux vastes pensées, aux rêves sociaux ou aux folies somptuaires, il y perdra la conscience du contribuable comme la confiance du prêteur. Qu’au contraire il se restreigne, comme font tous les honnêtes gens dans la gêne, — il n’en manque pas à l’heure qu’il est, — et il s’assurera, par