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soutenir que les dépenses publiques sont avantageuses pour le pays, et que l’impôt qui les alimente « retombe en pluie d’or sur le peuple ; » n’est-ce pas hier encore que nous lisions quelque part que l’État, en dépensant à l’intérieur, « crée du revenu ? » Comme si l’Etat n’employait « las le plus souvent d’une façon improductive des ressources que les particuliers eussent pu utiliser reproductivement, et comme si toute dépense inutile dans les budgets n’était pas un prélèvement arbitraire et injustifié sur les contribuables !

Avec la profusion, c’était aussi, c’était déjà la confusion, l’anarchie financière, celle-ci favorisant celle-là autant qu’elle était favorisée par elle. De 1872 à 1914, malgré de belles plus-values dans le rendement des impôts, le déficit réel a dépassé un milliard. Ce n’est qu’à l’aide d’expédients ou d’artifices qu’on arrive soi-disant à « boucler » les budgets, et qu’on maintient la balance sur le papier en même temps que l’illusion de l’équilibre dans le public : l’art n’est plus, comme on l’a dit, que de « prêter des apparences de règles à une gestion financière déplorable. » Les abus sont partout : dans les comptes spéciaux où se cachent les opérations et les emprunts illicites, dans les crédits additionnels, cette plaie de nos finances, dans les paiements sans crédit et les dépassements de crédits, dans l’insincérité des prévisions budgétaires, où les dépenses inutiles sont enflées à plaisir et les dépenses nécessaires trop souvent sous-évaluées, dans la pratique des crédits « d’amorce, » dont la modicité initiale n’est faite que pour dissimuler le gros danger prochain, sans parler de ces coups de folie financière comme le rachat de l’Ouest, ou de ces expériences sociales aussi mal conçues que coûteuses et que rejette le bon sens même du pays à qui on veut les imposer, telles les retraites ouvrières. Ajoutez que le contrôle, hors ce qui touche le maniement des fonds, est inefficace ou insuffisant, et que la comptabilité est tenue d’une façon si compliquée à la fois et si incomplète, elle est arrêtée SI tardivement, qu’elle ne permet de se rendre compte ni de la marche générale des opérations, ni du prix de revient, du rendement de tel ou tel service : on a bien oublié cette vérité élémentaire que, si les chiffres ne gouvernent pas le monde, ils indiquent du moins comment le monde est gouverné. Il l’est, chez nous, bien mal, et l’on pourrait répéter de nos jours ce que disait Du Haillan il y a quelque trois cents ans : « Les