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comme on sait, d’initiatives parlementaires, la carte à payer, qui à l’origine ne dépassait pas 1 700 millions, s’éleva de surenchère en surenchère jusqu’à 4 milliards 200 millions.

On s’explique dès lors que, la guerre finie, nos dépenses publiques pour l’exercice 1919 ne se soient pas moulées à moins de 48 milliards de francs, — budget ordinaire et services exceptionnels, — alors qu’elles n’avaient pas dépassé 33 milliards en 1916 et 41 en 1917[1]. On s’explique que, pour satisfaire à de pareilles charges, le Ministre des Finances ait dû faire le plus pressant appel à toutes les ressources de la Trésorerie, principalement aux bons de la Défense, dont il y avait entre les mains du public 46 milliards à la fin de 1919, et aux avances de la Banque de France, qui dépassent actuellement 25 milliards : d’où une énorme « inflation » de la délie flottante, avec tous les risques qu’elle comporte pour le Trésor, et une énorme « inflation » de la monnaie de papier, laquelle tend à surélever encore les prix des denrées et les cours des changes. Cependant la Chambre expirante, tout en s’abandonnant au vertige de la dépense, diffère le vote des impôts nouveaux, des ressources nécessaires à nos budgets. Ce qui n’empêche que dès lors, comme si nous jouissions de la meilleure santé financière, s’accumulent les grands projets de dépenses soi-disant urgentes : vaste plan de travaux publics qui, avec l’acquisition d’une flotte commerciale, n’absorberait pas moins de 20 milliards, avances pour le logement populaire, allocations à la natalité, assurances sociales, rachat de chemins de fer, que sais-je encore ?

Ne dirait-on pas alors que tout esprit de prudence, tout sens des réalités et des possibilités a disparu ? Plus de frein aux dépenses : on parle, on agit comme si nous pouvions nous passer toutes nos fantaisies, comme si nos ressources étaient inépuisables, comme si l’argent ne coûtait rien. Plus de règle pour payer ni pour recevoir. L’impôt, combien ne l’acquittent que s’ils veulent bien ! Ouvriers, agriculteurs, profiteurs de guerre échappent pour la plupart au fisc impuissant ou débordé. Par contre, combien de dépenses vaines qui ne répondent pas à des besoins vrais ! Indemnités, allocations, avances, suppléments et subventions, le budget paie une masse de services qui ne sont pas des services faits, des doles, suivant la forte expres-

  1. Elles avaient atteint 55 milliards en 1918. Il s’agit ici des crédits ouverts, et non des paiements effectués, dont le chiffre n’est connu que très tardivement.