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Si je me suis arrêté à cet incident qui, à des lecteurs d’esprit positif, paraîtra sans doute insignifiant, c’est que, j’en ai la certitude, il produisit une profonde impression sur l’empereur Nicolas et contribua, peut-être, à développer sa tendance naturelle au fatalisme et à la superstition. Il y vit l’annonce d’épreuves qu’il était décidé d’avance à accéder comme venant de la volonté divine et qu’il subit, en effet, par la suite, avec un calme et une résignation extraordinaires.


INFLUENCE DES COURTISANS ET DES AMUSEURS

Les quelques années qui suivirent le couronnement de Moscou furent seules à présenter un tableau de tranquillité et de prospérité relatives ; c’est pendant cette période que le caractère de Nicolas II se développa peu à peu pour prendre, vers l’époque marquée par les prodromes du mouvement révolutionnaire de 1905 et de la guerre russo-japonaise, sa forme définitive.

Les influences qui déterminèrent ce développement furent multiples : persistance de l’empreinte donnée à une nature sensitive et faible par la puissante volonté de l’empereur Alexandre III ; travail systématique des anciens conseillers de celui-ci pour maintenir le jeune souverain dans les traditions du règne précédent ; plus tard, action néfaste de ministres légers et serviles comme M. Sipiaguine, ou dénués de tout scrupule comme M. Plehve et d’aventuriers comme M. Bézobrazoff ; enfin, et surtout, emprise sur un esprit mystique et superstitieux d’une nature féminine plus forte, mais encore plus exaltée, et de personnages doués de facultés hypnotiques, le médium Philippe et le paysan-thaumaturge Raspoutine.

Si des hommes d’Etat, tels que Pobiédonostzeff, mus par des convictions profondes et mettant au service de ces convictions, quelque erronées qu’elles fussent, des talents et des connaissances incontestables, commandent un certain respect, que dire de cette catégorie de ministres, aussi légers qu’ignorants, dont l’unique souci était de se pousser dans la faveur du souverain en flattant ses tendances réactionnaires et certaines puérilités de son honneur ? Le type le plus accompli de ces « amuseurs » fut M. Sipiaguine, ministre de l’Intérieur, qui arriva à occuper ce poste important grâce à ses attaches de