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public la tentation, mais de bateaux, de locomotives, de machines, de charrues. Que le luxe se restreigne, et son sacrifice contribuera à nous sauver en nous constituant une marge, une réserve pour la dureté des temps ; c’est en ce sens que Turgot, reprenant un mot de Voltaire dans le Mondain, a loué le superflu « dont on peut dire qu’il est une chose très nécessaire : il faut qu’il y en ait, expliquait-il, comme il faut qu’il y ait du jeu dans toutes les machines. »

À nous d’utiliser aujourd’hui ce jeu de la machine économique. À l’économie destructrice des années de guerre, substituons une économie réparatrice, dont l’épargne, avec le travail, sera le facteur nécessaire et tout-puissant. Ce qu’il nous faut aujourd’hui, ce n’est pas du luxe, mais de la restriction, et l’on ne peut que regretter que depuis cinq ans l’impôt, accru il est vrai, mais insuffisamment, ne soit pas venu mettre un terme au gaspillage privé. « Il règne ici, déclarait en août dernier M. Lloyd George à ses compatriotes, un esprit d’inconscience, il y a un manque de compréhension du danger. » Et, chose curieuse, la même chose était dite en même temps aux Italiens par leur premier ministre, M. Nitti. Combien cela n’est-il pas vrai aussi chez nous, qui nous laissons aller en aveugles et sans réagir entre ces deux maux mortels, la « vague de paresse » d’une part, et de l’autre la fureur de jouir ! A consommer sans produire, ou seulement même à consommer moins que nous ne produisons, nous allons tout droit à la ruine économique. Il faut nous ressaisir, et, en travaillant plus, consommer moins et épargner davantage. Abstine et sustine, effort et abstention, ce doit être notre mot d’ordre patriotique. Le peuple de France, si justement renommé pour sa vertu d’épargne comme pour sa valeur laborieuse, et qui, avant la guerre, mettait de côté chaque année un bon dixième de son revenu, ne voudra pas s’endormir dans la nonchalance ou s’étourdir dans la dissipation. À la vie chère opposons la vie simple, et devant le haut mur des changes, sachons réfréner nos besoins. Le salut du pays exige que, riche ou pauvre, chacun se restreigne et donne, avec le maximum de son effort de travail, le maximum de son effort d’épargne. L’épargne des riches seuls n’y suffirait pas, car c’est le grand nombre qui fait les gros chiffres : il nous faut l’épargne de tous.