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un fonds pour l’entretien d’un certain nombre d’hommes, ou lorsqu’il disait qu’on est utile aux travailleurs non par ce qu’on dépense, mais par ce qu’on ne dépense pas.

Nous ne sommes pas de ceux qui condamnent le luxe absolument, et répètent avec J.-J. Rousseau que « s’il n’y avait pas de luxe, il n’y aurait pas de pauvres : » il y aura, hélas ! toujours des pauvres parmi nous ! Nous ne songeons pas à réclamer des lois somptuaires, quelque nécessaires qu’elles soient, à ce que disait Montesquieu, dans une république, non plus qu’à demander à nos contemporains de vivre en Spartiates et de se restreindre au « nécessaire physique. » Admettons qu’en temps normal le luxe modéré, celui qui suscite le travail et tend à créer plus de capital qu’il n’en détruit, puisse avoir sa place et remplir une fonction utile : mal si l’on veut, mais alors mal nécessaire ; felix culpa ! Mais comme il y a, dans le problème du luxe, une question de mesure, il y a aussi une question d’opportunité, et la solution économique à lui donner ne peut, aux temps troublés où nous vivons, être la même qu’aux jours calmes du passé. Quand la France ne produit plus assez pour le nécessaire ou l’ordinaire de la vie, peut-on bien donner libre cours au « somptuaire ? » Quand il y a dans le monde entier disette, l’heure est-elle bien aux vaines dépenses de faste ou d’agrément ? Comme les matières, comme les capitaux, la main-d’œuvre manque : chez nous, la mort ou l’invalidité de près de deux millions d’hommes a diminué de 9 pour 100 environ l’effectif des producteurs, une fois et demie plus qu’en Allemagne, trois fois plus qu’en Angleterre ou qu’en Italie. Ne voit-on pas qu’aujourd’hui le luxe est une coupable dilapidation de travail, de capitaux et de matières, et que le superflu des uns ne peut être produit qu’aux dépens de l’indispensable des autres ?

Consommateurs, nous le sommes tous, et comme tels nous avons tous notre responsabilité engagée pour chacune de nos consommations. Pensons-y ! Dépenser mal ou trop, c’est non seulement léser la communauté en l’endettant vis-à-vis de l’étranger, c’est aussi faire la vie plus difficile à ceux qui l’ont déjà si difficile, c’est rendre le pauvre plus pauvre. La France doit reconstituer ses forces par le travail et l’épargne, et non pas s’adonner aux appétits de jouissances. Ce n’est pas d’autos qu’elle a besoin, de ces autos même dont le bon marché offre au