Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/655

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’a pas en soi plus de valeur qu’il n’a, dit-on, d’odeur : mais épargnons les choses, les denrées, les vraies richesses. Pour faire baisser les prix, pour diminuer nos achats hors de France et alléger nos dettes extérieures, pour réparer les destructions de la guerre, il n’y a qu’un moyen : réduisons nos dépenses stériles, nos consommations improductives, celles qui ne servent pas à entretenir où à accroître la puissance productrice du pays, capitaux ou population.

Mais, prétend-on, productives ou improductives, les consommations ont toutes la même valeur économique : elles nourrissent pareillement le travail. Pourquoi donc proscrire telles ou telles ? Les unes et les autres suscitent un égal mouvement d’affaires. Toute dépense est légitime qui est faite avec des moyens légitimes. Comme disait le brave voisin de campagne de J.-B. Say, lorsqu’après le repas offert à ses hôtes il s’amusait à briser les verres de sa table : cela fait marcher le commerce, ne faut-il pas que tout le monde vive ? N’avons-nous pas vu soutenir, pendant la guerre, que la guerre même est enrichissante, dans la mesure du moins où l’on ne fait pas appel à l’étranger, et que, par exemple, un coup de canon, payé cent francs à l’industrie française, fait gagner cent francs au pays, tout comme si une valeur de cette somme était exportée ? Exportation, l’obus envoyé chez les Boches ! Bien naïf est le paradoxe qui prône à ce point la « vertu de la dépense. » Autant dire qu’il faut consommer en vue de produire, et non produire en vue de consommer. Plus on consommera, plus on produira, et comme il est bien plus aisé de consommer que de produire, c’est l’abondance assurée et l’âge d’or tout proche ! À ce compte-là Néron, en brûlant Rome, était le bienfaiteur des Romains ! Et nous-mêmes, après tant de destructions pendant les cinq « années terribles, » comment se fait-il que nous ne soyons pas plus riches à l’heure qu’il est ? — Il ne faut tout de même pas oublier que les consommations improductives, si elles profitent à quelques-uns, appauvrissent l’ensemble, c’est-à-dire la nation, qui est en perte d’une valeur dont elle était en droit de bénéficier. C’est au contraire, pour la communauté, un profit net et durable que l’épargne ; de même que la consommation productive, elle donne du travail sans dommage pour personne ; et c’est ce qu’entendait Stuart Mill lorsqu’il comparait l’épargnant au fondateur d’une maison de charité, qui crée