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de déséquilibre où nous voyons s’étaler partout, du haut en bas de l’échelle sociale, la dépense, le luxe et la prodigalité, dans la soif des jouissances immédiates. Détente nerveuse chez les uns, réaction après l’épreuve : le phénomène est bien connu des moralistes. L’argent ne manque pas, il y en a même trop, puisque nous avons en circulation au moins vingt-cinq milliards de monnaie de plus qu’avant la guerre. Chez les autres, c’est l’avidité de jouir, et tout de suite, de l’argent gagné vite et facilement, c’est la frénésie de concupiscence née des subiti guadagni. De quoi demain sera-t-il fait ? Après nous le déluge ! Et tandis que nos modernes Turcarets, ne sachant que faire de leurs gains, les dissipent à qui mieux mieux, voici tous les nouveaux pauvres qui ne savent plus comment vivre, eux qui jadis fécondaient la richesse nationale en garnissant de jour en jour le légendaire bas de laine de la France : qui les remplacera, ceux-là ?

Déplorable est l’effet produit par le spectacle de ce gaspillage, — plus superficiel, si l’on veut, que profond, mais d’autant plus frappant, — sur l’étranger qui nous observe sans se rendre toujours compte que ces jouisseurs du jour ne sont pas, Dieu merci ! toute la France, ni même la vraie France. Mais bien plus grave est le dommage causé au pays par la folie de la dépense, au point de vue économique, sans parler des autres. La consommation s’est accrue démesurément, tandis que, démesurément, la production a décru : de là la hausse des prix, c’est-à-dire la détresse ou la gêne pour beaucoup, et la porte ouverte aux pires désordres intérieurs, maux profonds qu’on ne fait qu’aggraver en augmentant, par des élévations de traitements ou salaires, par l’émission toujours plus abondante de billets de banque, les facultés d’achats des consommateurs ; de là la hausse des changes, l’excès toujours grandissant de nos importations sur nos exportations, avec ce résultat que le commerce extérieur de la France est actuellement en perte de l’énorme chiffre de plus de vingt milliards par an, et que la France, autrefois créancière de l’étranger, est pour longtemps sa débitrice. L’équilibre rompu entre la production et la consommation, c’est notre devoir impérieux de le rétablir, en produisant davantage, mais d’abord en consommant moins. Les produits manquent : ménageons-les. Gaspillez l’argent, si le cœur vous en dit ; l’argent, après tout, est fait pour circuler, il