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Alexandra, créature angélique, qui se confina après la mort tragique de son mari (tué par les terroristes en 1905) dans une vie presque monastique, consacrée tout entière aux œuvres d’une charité active. En fin de compte, on ne sévit que contre quelques sous-ordres, et le grand-duc, resté indemne, continua à gouverner l’antique capitale russe ; les Moscovites, volontiers frondeurs, le surnommèrent « Prince Hodynsky, » en souvenir du lieu du sinistre.

La catastrophe qui marqua le couronnement de l’Empereur Nicolas fut considérée dans le public comme de très mauvais augure pour l’avenir de son règne et pour sa propre destinée ; on y vit naturellement le présage d’événements semblables à ceux auxquels succomba Louis XVI. Il y avait eu, d’ailleurs, peu de jours auparavant, un incident qui resta à peu près ignoré, mais qui, s’il s’était ébruité, aurait encore renforcé cette impression.

Je fus personnellement témoin de cet incident, et voici dans quelles circonstances. En ma qualité de chambellan de la cour, l’Empereur m’avait désigné pour l’assister pendant son sacre ; ma fonction consistait à soutenir, en compagnie de cinq autres chambellans, le manteau impérial en drap d’or doublé d’hermine, long de quatre ou cinq mètres, que l’Empereur revêtait rituellement, après avoir reçu des mains du Métropolite de Moscou le spectre et le globe, et avant de ceindre la couronne impériale. Au moment le plus solennel de la cérémonie, tandis que Nicolas, suivi de ses assistants, couronne en tête et manteau impérial aux épaules, s’avançait à travers la nef de la cathédrale vers le grand autel, pour recevoir l’onction qui le sacrait Empereur, un chaînon en brillants du collier de l’Ordre de Saint-André passé par dessus le manteau se détacha et tomba à ses pieds ; l’un des chambellans qui soutenaient le manteau le ramassa et le remit au Ministre de la cour, comte Worontzoff, qui se trouvait tout près et qui le mit dans sa poche ; le tout se passa très rapidement et ne fut aperçu que des personnes qui entouraient l’Empereur. J’étais de ce nombre et ne perdis rien de cet incident dont je suis peut-être actuellement le seul témoin survivant. Après la cérémonie, tous ceux qui l’avaient remarqué durent promettre de n’en parler à personne et, chose curieuse, il resta complètement ignoré du public ; moi-même, je le révèle ici pour la première fois.