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ordres : on lui a bien recommandé la prudence : il lui est interdit de parler du Temple : « Supprimer les détails du projet que fit échouer Simon…, détails à omettre pour ne pas suggérer de tels moyens publiquement. » Et quand il se disposera à risquer dans son réquisitoire une allusion au député Chabot à qui la marquise de Jeanson avait offert un million s’il parvenait à sauver la Reine, nouvelle injonction comminatoire : « Ne pas parler de la femme Jeanson qui avait gagné Chabot. » Voilà pourquoi, quand Lebœuf, Michonis et leurs collègues comparaissent devant l’implacable tribunal, leur jugement est une comédie : Lepitre qui, pourtant, a touché de Jarjayes 100 000 livres, « subit un interrogatoire qui le surprend par le peu d’importance qu’on paraît y attacher ; » Tison qui, le premier, a dénoncé les coupables, n’est pas appelé à témoigner ; aucun membre de la Commune ne dépose contre eux ; Fouquier-Tinville se désintéresse de l’affaire : il a cédé la parole à l’un de ses substituts ; même le Bulletin du Tribunal, passe sous silence les débats. Tous les accusés sont acquittés, embrassés par les juges et par les jurés, sauf Michonis que l’on gardera en prison.

Cependant le déblaiement du Temple se poursuit activement : c’est Hébert qui y préside, car son compère Chaumette est allé se reposer à Nevers, dans sa famille. Comme il y faut un prétexte, on saisit celui, — sordide, — d’une mesure économique : les 500 000 livres attribuées par l’Assemblée législative à l’entretien du prisonnier sont épuisées et la charge va incomber au budget de la Commune. Dès le 24 septembre, on a enlevé à Madame Elisabeth et à Madame Royale les deux cuillers d’argent dont elles faisaient usage, leur sucrier de porcelaine et d’autres objets jugés trop élégants. Tison leur est retiré : depuis qu’il est seul pour les servir, il passe pour s’être fait circonvenir par elles ; mais l’accusation est très vague ; pour mieux dire, elle n’est même pas formulée, et la Commune, docilement, sans réclamer un mot d’explication, permet que Tison demeure désormais captif, dans la petite Tour, au secret absolu, sans que Chaumette et Hébert, qui ont intérêt à l’escamoter, daignent publier quel est son crime et quelle faute expie ce prisonnier de leur bon plaisir. Mathey, le concierge économe, et le coiffeur Danjou, sont supprimés de même façon. On cherche, manifestement, à évincer tous ceux qui, attachés au service de la prison