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fauteuil où il s’installe, « balançant ses petites jambes dont les pieds ne posent point à terre, » et on l’interpelle de déclarer s’il persiste à soutenir la réalité des scènes de lubricité par lui révélées la veille. Le malheureux enfant répète son accusation. Madame Royale, très confuse, nie obstinément : son frère intervient : « Oui, cela est vrai ! » dit-il. Puis on passe au voyage de Varennes, à La Fayette. Comme Chaumette revient à Lepitre et à Toulan et que la jeune princesse continue à protester qu’elle ne se souvient pas d’eux, le Dauphin lui rappelle avec vivacité des circonstances qu’elle ne peut avoir oubliées : à quoi elle se contente de déclarer que « son frère ayant plus d’esprit qu’elle et observant mieux, elle peut avoir échappé à ce qu’il a saisi… » Un autre trait encore décèle et l’assurance du petit Roi, et l’empreinte de l’éducation qu’il reçoit, et aussi son inconscience : il semble, au cours de la discussion, qu’il prend le parti de ses accusateurs contre sa famille et ceux qui ont risqué leur vie pour elle : il ne sait ce qu’il dit ; il est fier du rôle qu’on lui fait jouer, et, d’ailleurs, parfaitement à l’aise. Comme on les questionne l’un et l’autre au sujet de l’architecte Renard, compromis à l’époque du départ pour Varennes, Thérèse soutient qu’elle ne le connaît pas ; mais Charles, — c’est ainsi qu’on l’appelle maintenant, — en la regardant avec autorité, affirme qu’elle le connait ; et la sœur, soumise, reprend qu’elle se souvient de lui, « en effet. » Ce qu’on ne peut imaginer, c’est ce qu’éprouvent ces hommes, à la fois protagonistes et spectateurs de cette odieuse et tragique confrontation : pas un qui se lève et sorte écœuré ; pas un qui intervienne et impose silence à ce malheureux enfant grisé de paroles et répétant une leçon apprise ; pas un qui avertisse le frère et la sœur qu’on leur tend un piège et qu’on les dupe, et qu’ils envoient leur mère à l’échafaud ; pas un non plus qui ajoute foi aux dires du petit prince et qui ne consente cependant à apposer sa signature au bas du procès-verbal parricide. Et de ceci on est certain, puisque l’un d’eux, celui qui tient la plume, l’avoue sans honte : « Je l’ai entendu, ce fils, accuser sa mère et sa tante de… ; je l’entendais, je l’écrivais… et moi aussi je disais : je n’en crois rien ! »

C’est fini ; Daujon lit à haute voix sa rédaction ; on signe ; Madame Royale s’approchant de Chaumette lui demande « avec