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qu’on avait omis d’aménager pour la circonstance, prise d’une panique subite, et faisant dans sa fuite désordonnée d’innombrables victimes.

La catastrophe de Moscou, sur laquelle il m’a été donné de recueillir à l’époque même des renseignements particulièrement précis, a prêté à des récits et surtout à des commentaires tout à fait inexacts. D’après le docteur Dillon, l’événement se serait produit en présence de l’empereur Nicolas, au moment où le couple impérial prenait place dans la tribune officielle, salué par la musique militaire qui jouait l’hymne national, et alors qu’ « un demi-million de voix acclamait le jeune autocrate de la sainte Russie et son épouse. » L’auteur continue en insinuant que l’Empereur se montra peu ému par cette calamité et explique par l’indifférence de Nicolas II à l’égard du sentiment public, le fait que ce désastre n’interrompit pas le cours des dîners et des bals qui se succédèrent jusqu’à la fin à la Cour et aux Ambassades étrangères.

Voici le témoignage que je crois de mon devoir d’apporter sur ce sujet.

J’étais à cette époque ministre de Russie auprès du Vatican, et comme le Pape Léon XIII s’était fait représenter aux fêtes du couronnement par un ambassadeur extraordinaire, Mgr Agliardi, le ministre des Affaires étrangères russes, le prince Lobanoff, m’avait invité à me rendre également à Moscou pour y veiller aux détails protocolaires très compliqués et délicats que comportait la présence d’un Nonce apostolique. Ayant, outre mon grade dans le service diplomatique, la qualité de Chambellan de la cour impériale, je devais remplir les fonctions de cette charge pendant la cérémonie du sacre. Je partageais à Moscou l’appartement de mon cousin, M. N. Mouravieff, ministre de la Justice, et je voyais tous les jours intimement le comte Pahlen, oncle de ma femme, revêtu, pour la durée du couronnement, de la dignité de grand-maitre suprême des cérémonies. J’étais donc particulièrement bien placé pour suivre de près les moindres détails de ce qui se passait dans les coulisses de la politique et de la vie intime de la Cour.

La catastrophe se produisit à une heure très matinale, bien avant celle où l’Empereur et la cour impériale devaient se rendre sur l’emplacement réservé à la fête populaire ; quelques instants après, comme il faisait à peine jour, mon cousin, averti