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en liberté ; mais à l’invitation de ses collègues de reprendre sa place parmi eux, il riposte diguement en leur envoyant sa démission.

Le malheureux prince, d’ailleurs, ne se rend pas compte de sa déchéance : il est trop jeune pour que les instincts de délicatesse et de distinction qu’il tient de son atavisme puissent lutter victorieusement contre l’entrainement à cette vulgarité qu’il juge tout à fait masculine. Et puis, sauf très rares exceptions, ce langage de corps de garde sur les lèvres d’un roi de huit ans amuse, sans les révolter aucunement, ces municipaux parisiens, nés, pour la plus grande part, et habitués à vivre parmi la populace : c’est pour eux une satisfaction pervertie d’entendre le fils de la fière Autrichienne s’exprimer à la sans-culottes, tutoyer tout le monde, lâcher des jurons et exagérer la grossièreté du rôle qu’il s’impose, — pour « faire l’homme, » — d’autant qu’il en reçoit plus d’approbation et d’éloges. On les voit, ces inconscients, s’esclaffer à chacun des gros mots du Dauphin de France, ravis qu’il soit sans morgue, dégradé, pareil aux polissons du pavé.

Il ignorait que sa mère eût quitté le Temple un mois après qu’on l’avait arraché de ses bras ; il croyait qu’elle était encore avec Madame Royale et Madame Elisabeth, au troisième étage de la Tour ; et ici se place un trait révélateur des progrès qu’obtenait Simon de son trop docile élève, trait horrible et qu’on doit s’excuser de rapporter, encore qu’on ne puisse le faire qu’en l’émondant… Le municipal Daujon, ennemi convaincu des « tyrans, » mais artiste distingué et par conséquent moins rude que la plupart de ses collègues, se trouvait de garde chez Simon et jouait aux boules avec le Dauphin : dans l’appartement des « femmes, » situé à l’étage supérieur, on entendait « sauter et comme traîner des chaises ; » l’enfant, quittant ses boules, s’écria avec un mouvement d’impatience : — « Est-ce que ces sacrées p….. -là ne sont pas encore guillotinées ? » « Je ne voulus pas entendre le reste, ajoute Daujon, je quittai le lieu et la place. » Voilà tout ce qu’osait, en manière de protestation, un honnête homme indigné : il « quittait la place ! » Et pourtant celui-là avait donné assez de gages de son dévouement à la cause du peuple pour qu’il lui fût permis de ne rien craindre : un tel mot indique mieux que de longues considérations, combien le Conseil général était, par