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pas davantage et il se pique d’être bon patriote. Le pis est qu’il croit bien agir et conquérir, par cet exploit pédagogique, la gratitude de la postérité. Son ineptie est telle que son amour-propre d’éducateur doit se dilater au premier gros mot de l’élève : et il n’a pas longtemps à attendre. Qui n’a constaté la facilité avec laquelle les enfants retiennent tout ce qu’ils ne devraient pas entendre et combien leur esprit malléable se révèle prompt à l’imitation et friand du fruit défendu ? Il a suffi de quelques b… et de quelques f… à la façon d’Hébert pour que le jeune roi se montre, en ce genre d’éloquence, aussi abondant que son professeur.

Et celui-ci poursuivra ses leçons, flatté déjà de leur bon effet et des compliments que leur succès lui vaudra. Hélas ! Des témoignages irrécusables ne permettent pas de douter, comme on le souhaiterait, du trop rapide résultat de cette exécrable profanation ; c’est, d’abord, celui de Madame Royale, toujours si rigoureusement exact : « Nous l’entendions tous les jours chanter avec Simon la Carmagnole, l’air des Marseillais et autres horreurs : il lui faisait chanter aux fenêtres pour être entendu de la garde, avec des jurements affreux contre Dieu, sa famille et les aristocrates. » Le scandale est tel que, un jour d’août, le municipal Lebœuf, chef d’institution, ne peut se défendre d’interpeller Simon et de lui reprocher les discours qu’il tient devant son élève. Sur l’altercation elle-même on n’est pas renseigné ; mais, un soir, au Conseil général, Lebœuf est dénoncé comme « s’étant plaint que le petit Capet jure et qu’on lui donne une éducation trop sans-culottière ; » Lebœuf, pour comble d’audace, « a témoigné plusieurs fois le désir que le fils de Louis soit élevé à la manière de Télémaque. » L’affaire revient le 5 septembre : Chaumette, cette fois, prend la parole : il accuse Lebœuf de s’être introduit au Temple d’une manière peu digne d’un magistrat, d’y avoir trouvé une idole et de l’avoir adorée ; » il a osé réprimander le patriote Simon et « trouver mauvais qu’on élevât le petit Capet comme un sans-culottes. » À quoi Lebœuf répond que, par état, il n’aime pas entendre des chansons indécentes ; Simon s’est permis d’en répéter de semblables devant son pupille. Le pudique municipal est « envoyé à la police » et on appose les scellés sur ses papiers ; deux jours plus tard, la perquisition au domicile de l’inculpé n’ayant rien révélé de suspect, il est mis