Page:Revue des Deux Mondes - 1920 - tome 55.djvu/617

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bords, et, sur une large ceinture de ruban, le petit habit que nombre de ses portraits ont popularisé.

Ainsi rencontre-t-on dans les documents authentiques le germe originel de tous les navrants récits qui ont fait verser tant de larmes : l’oiseau préféré écrasé par un municipal farouche, les jouets brisés par une main brutale, les coups de chenets qui renversent le petit prince à demi-mort ; les réveils en sursaut dans les nuits froides. Mais de ces faits eux-mêmes, pas une trace. Bien plus, ils sont démentis par tout ce qu’on sait de façon certaine. On ne peut douter de la bonne foi et de la sincérité des premiers historiens de Louis XVII qui les recueillirent des survivants du Temple ; mais, de ceux-ci, la mémoire était-elle bien fidèle, et n’y avait-il pas, dans le frelatage, inconscient ou non, de leurs souvenirs, une sorte de remords, de revanche même d’une involontaire et trop docile complicité du crime épouvantable dont la hantise les poursuivait ? Charger Simon de toutes les lâchetés, n’était-ce point se disculper soi-même et se délivrer du cauchemar au détriment d’une mémoire honnie ?

Car il y eut crime ; et d’autant plus odieux qu’il fut plus hypocrite. On peut en être assuré, Chaumette et Hébert n’ont point livré le fils du Roi au cordonnier pour que celui-ci « s’en défasse ; » ils apprécient trop la valeur de l’otage qu’ils détiennent et qui doit, l’heure venue, détourner de leur front la foudre menaçante. La mission de Simon est tout autre : il est chargé de « démocratiser » l’enfant royal, de lui inculquer les principes et de lui enseigner les façons du peuple. — « Je lui ferai perdre l’idée de son rang, » a déclaré Chaumette ; « il faut que le petit louveteau perde le souvenir de sa royauté, » a renchéri Hébert. Et c’.est à cela que le savetier travaille : oh ! à sa manière, qui n’est point celle d’un rêveur comme Rousseau ou d’un énergumène à syllogismes tel que Clootz. Celle de Simon consiste simplement à initier son pupille aux beautés du style du Père Duchesne et au parler grossier des polissons de la rue : plus d’orthographe, — il en serait bien en peine ; — plus de fables ni d’histoire sainte ou autres où sont consignés les méfaits d’une foule de tyrans cruels et de prêtres exploiteurs. Le descendant de Louis XIV et des Césars romains épellera les Droits de l’Homme affichés dans l’antichambre et il chantera les chansons du peuple : Simon lui-même n’en sait