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« fait au bain-marie avec veau, cuisses et reins de grenouilles, sucs de plantes et terre foliée ; » chaque jour du mois de juillet, le même bouillon sera fourni, et, pour intimes que soient ces détails, ils n’en ont pas moins leur importance, puisqu’ils établissent les attentions minutieuses dont était l’objet le prisonnier. Ne voit-on pas qu’ils détruisent en même temps la persistante légende des coups, des cruches d’eau froide vidées dans son lit, des rasades de vin et d’eau-de-vie qu’on le forçait d’absorber malgré ses répugnances ? Suppose-t-on que des médecins tels que Pipelet et Thierry n’auraient jamais surpris aucun symptôme révélateur d’une vie si misérable, ou supportaient-ils qu’on s’ingéniât à rendre malade, durant qu’ils lui donnaient des soins, le jeune prince auquel ils témoignaient tant d’intérêt ?

En ce qui concerne la nourriture, nulle restriction depuis la mort de Louis XVI : à la séance du Conseil général du 1er septembre, un membre observe que « la table des détenus est toujours servie avec la même profusion ; » et quand, dans l’automne, seront effectuées les grandes réformes, il sera décidé « qu’aucune modification ne sera apportée au régime du petit Capet. » Son précepteur le promenait dans les jardins et sur la plate-forme de la Tour ; il avait obtenu qu’on dressât un billard dans l’une des chambres de la prison ; les commissaires de service le rejoignaient là ; il y amenait l’enfant et on y admettait, pour jouer avec le fils du tyran, tandis que les municipaux faisaient des carambolages, la petite Clouet qui accompagnait sa mère, l’une des blanchisseuses du Temple, lorsque celle-ci rapportait, tous les dix jours, le linge lessivé. Simon s’est procuré, pour l’amusement du Dauphin, un chien que celui-ci appelle Castor et « qu’il aime beaucoup ; » même, pour distraire son pupille, qui rêve d’avoir des oiseaux, le cordonnier fait disposer, dans l’embrasure d’une des profondes fenêtres de son appartement, une volière, construite en chêne, avec perchoir à trente-deux bâtons ; sous prétexte de « donner du jour aux oiseaux, » il enlève une planche à la hotte de bois qui obstrue la croisée. On voit aussi, dans les mémoires des fournisseurs du Temple, qu’une des tourelles a été transformée en pigeonnier ; bien longtemps plus tard, figureront encore dans les comptes des mentions de ce genre : « Grains pour les pigeons du petit Capet. » Simon fait plus encore : il a découvert