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ataviquement dévots de la vieille race royale, que leur imagination s’est donné, sur ce thème, libre cours et a suppléé, par induction, au défaut d’informations certaines. Quand vint la Restauration, la légende s’affirma et s’amplifia par les méfaits de l’esprit de parti : chacun apporta son racontage et son anecdote, soi-disant recueillis de témoins survivants, d’ex-geôliers pris de contrition, d’anciens membres de la Commune, tardivement repentants, et c’est de cette broussaille envahissante qu’il faut émonder l’histoire du Temple. Dénuée de ces affligeants agréments, elle se présente singulièrement ingrate et d’une aridité à déconcerter ceux qui l’ont connue abondante et touffue.

À se borner aux renseignements à peu près sûrs, on connaît bien peu de chose de la gestion de Simon et de la façon dont il se comporta à l’égard du jeune prince : il semble bien qu’on le retrouve là ce qu’on l’a vu précédemment, alors qu’il s’évertuait en sa qualité d’inspecteur des travaux du Temple : pas méchant, susceptible de complaisance ou même d’attendrissement, mais obtus, désordonnément imbu des pathos extravagants entendus à sa section ou à la Commune. Dans sa bêtise, il a pris tous ces beaux parleurs pour des apôtres et leurs sentences pour le nouvel Evangile : il a la foi et s’imagine naïvement qu’on l’a placé là, en conscience, dans l’intérêt du petit Capet, pour extirper les préjugés aristocratiques dont s’encroûte l’esprit du descendant des Rois. Simon n’est pas un tortionnaire ; c’est un imbécile sincère : il croit que, au simple contact d’un « pur » tel que lui, l’enfant va se démocratiser et monter du rang de prince à l’état d’homme. Au fond de sa sottise il y a du Rousseau, qu’il n’a pas lu, mais dont il adopte, de confiance, pour en avoir vaguement entendu parler, les théories pédagogiques.

Des premiers rapports entre le maître et le Dauphin en larmes dans cette nuit du 3 juillet, on ne sait rien : nul témoignage ne nous indique si le cordonnier prit avec lui l’enfant dans la chambre qu’avait occupée Louis XVI et dont il héritait, ou s’il décida que le petit Capet coucherait seul dans la pièce naguère habitée par Cléry. On n’avait rien changé à l’ameublement et Simon s’étendit pour la première fois de sa vie sous des rideaux de damas, en une couche large et profonde que trois matelas faisaient moelleuse ; il put goûter les fauteuils et