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ils se retrouvent ensemble à leur bivouac de la salle du Conseil… Ils ne sont pas des monstres ; aucun d’eux, sans doute, n’a l’âme d’un bourreau ; plusieurs, bien certainement, sont pères, et, de ceux-ci, les lèvres tremblent et les yeux s’humectent à la pensée du petit qui, là-haut, se débat contre son nouveau gardien et refuse de se coucher… Tous ces commissaires étaient, il y a quelques mois encore, de bons garçons, aimant à rire et ne songeant pas à jouer au Spartiate ; mais les Chaumette et les Hébert les ont grisés du poison des utopies assassines et leur ont présenté comme un devoir sacré ce que, naguère, ces gens simples auraient considéré comme un crime. Peut-être aussi n’obéissent-ils qu’à la peur. N’importe ! Quels que soient leurs airs de bravade et l’allure dégagée qu’ils affectent, ils éprouvent un dégoût de la besogne accomplie, et aucun d’eux ne dut dormir d’un sommeil paisible cette nuit-là, dans la Tour maudite, dont les échos sonores apportaient des cris de femmes et des sanglots d’enfant… Oui, le tableau serait d’un effet certain et il ne fausserait pas l’histoire, car on pourrait le charger en couleurs sans crainte que sa tonalité dépassât, — ou plutôt, sans espoir qu’elle atteignit l’intensité de la scène à peindre ; mais les malheurs du petit Roi innocent et martyr ont inspiré, outre quelques pages inimitables, tant de commentaires attendris que les contours nets de la vérité ne se distinguent plus sous la surabondance des gloses. En un tel sujet, plus encore qu’en tout autre, il convient de s’en tenir au simple exposé des rares témoignages authentiques, dût le récit rebuter par sa sécheresse ; dût-il même décevoir la sensibilité des lecteurs, surpris de ne point retrouver dans l’histoire ainsi dénuée d’ornements, l’émouvante impression que leur a laissée la légende.


On touche ici à une période de la vie du Dauphin, où l’on va se trouver en désaccord avec une tradition plus que séculaire : celle de la cruauté du cordonnier Simon et des tortures systématiques qu’il infligea à son « élève. » Comment cette tradition prit-elle naissance ? Peut-être n’en doit-on chercher l’origine que dans le contraste offensant entre l’illustre naissance du pupille et la grossière profession du « Mentor. » Un savetier, précepteur du Dauphin de France ! Cette conception outrée a soulevé une si unanime réprobation chez les contemporains,