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il est ainsi conçu : « Après différentes instances, la veuve Capet s’est enfin déterminée à nous remettre son fils qui a été conduit dans l’appartement désigné et remis entre les mains du citoyen Simon qui s’en est chargé. Nous observons au surplus que la séparation s’est faite avec toute la sensibilité à laquelle on devait s’attendre dans cette circonstance où les magistrats du peuple ont eu tous les égards compatibles avec la sévérité de leurs fonctions. » L’autre récit, empreint de plus d’émotion, est celui de Madame Royale : « Ce 3 de juillet, à dix heures du soir, on nous lut un décret de la Convention qui portait que mon frère serait séparé de ma mère et mis dans l’appartement le plus sûr de la Tour. À peine mon frère l’eut entendu qu’il jeta les hauts cris et se jeta dans les bras de ma mère, demandant de n’en être pas séparée. Ma mère fut saisie aussi de ce nouvel ordre et ne voulut pas donner mon frère et défendit le lit où il était contre les municipaux. Ceux-ci voulaient l’avoir, menaçaient d’employer la violence et de faire monter la garde pour l’emmener de force. Une heure se passa en pourparlers, en défense et en pleurs de nous tous. Enfin ma mère consentit à rendre son fils, nous le levâmes et, après qu’il fut habillé, ma mère le remit entre les mains des municipaux en le baignant de pleurs, comme si elle eût prévu dans l’avenir qu’elle ne le reverrait plus. Le pauvre petit nous embrassa toutes bien tendrement et il sortit en pleurs avec ces gens. »

Le thème est riche et prête aux développements : ces trois princesses éplorées faisant un rempart au lit de l’enfant éperdu, réveillé dans son premier sommeil et s’attachant à sa mère de toute la force de ses petits bras ; l’altitude forcément piteuse de ces six hommes luttant contre ces trois femmes et les menaçant des soldats ; la fille de Marie-Thérèse durant une heure suppliante devant ce tailleur de pierre, ce parfumeur et ce charpentier ; le douloureux arrachement, la bousculade de l’enfant qu’on entraine et qui, de sa petite voix brisée, appelle sa maman, — sa maman ! Et les grosses portes de fer qui retombent ; et les hommes à écharpes poussant dans l’escalier le petit Roi qui se cramponne à la rampe de fer ; et l’entrée dans cet appartement du second étage où il n’est pas venu depuis cet autre soir de larmes, quand son père, sur le point de mourir, l’a serré pour la dernière fois sur son cœur… ; et la honte silencieuse de ces municipaux lorsque, la victoire remportée,