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Elisabeth entretiennent avec Turgy une correspondance quotidienne : elle descend à la salle du Conseil, portant comme pièce à conviction un flambeau sur le binet duquel est tombée une goutte de cire à cacheter. Est-ce en parlant aux commissaires qu’elle apprend « ce qui se prépare ? » A-t-elle surpris une allusion au projet d’arracher le Dauphin à sa mère, ou l’a-t-elle deviné à certains changements dans la vie régulière de la Tour ? L’appartement du second étage, fermé depuis la mort de Louis XVI, est, en effet, rouvert ; deux guichetiers nouveaux sont entrés en fonctions. La Tison a compris : elle remonte à sa chambre, haletante. À dix heures du soir, on frappe à la vitre : que lui veut-on ? La voix d’un commissaire l’avise que Pierrette est en bas, qu’elle la demande. — Pierrette ? Mais non, elle ne vient jamais si tard. — La Tison ne veut pas descendre ; pourtant son mari l’entraîne dans l’escalier ; elle résiste ; elle crie qu’on veut la mener en prison : on la pousse dans la chambre du Conseil. Sa fille est là : elle a profité de la fraîcheur du soir pour venir embrasser ses parents. La mère est rassurée ; mais quand il faut remonter, elle s’y refuse : elle a peur maintenant de se retrouver là-haut, en présence de cette reine à qui, dans deux jours, on va voler son enfant. Tison s’emporte ; les municipaux la bousculent. Arrivée enfin à l’antichambre du troisième étage, elle aperçoit la Reine dont Turgy, Marchand et Chrétien se disposent à servir le souper : la Tison va droit à elle, et, sans souci de la présence des municipaux, elle se prosterne : « Madame, dit-elle, je demande pardon à Votre Majesté : je suis une malheureuse ; je suis la cause de votre mort et de celle de Madame Elisabeth… » Les prisonnières la relèvent avec bonté ; mais la Tison avise Turgy, se trouble, s’agenouille devant lui, sanglotant : « Turgy, pardonnez-moi ! Je suis la cause de votre mort… » On l’entraîne, agitée de convulsions affreuses. Le lendemain les médecins vinrent : elle était folle. La Commune arrêta qu’elle serait soignée hors de la Tour et, le 1er juillet, huit hommes, ayant peine à la contenir, la conduisirent au Palais du Temple où une garde s’installa auprès d’elle.

Ce même jour était rendu l’arrêté du Comité de Salut Public ordonnant que le Dauphin serait remis entre les mains d’un instituteur et vivrait désormais « dans un appartement à part, le plus sûr de la Tour. » L’arrêté avait été sollicité par la