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Le docteur examine, questionne et reconnaît que « le prince est parfaitement sain, » qu’il s’est blessé en chevauchant un bâton, « comme font les enfants, » et il insère dans son procès-verbal la cause et l’effet de cette incommodité dont, après quelques soins, « il ne resta aucune trace. » Dès le 23, le Dauphin descendait avec la Reine dans le jardin du Temple : on l’y voyait jouer et courir : son entrain au jeu, son amour pour sa mère, sa gaieté espiègle mettaient en joie toute la prison ; cet enfant « attachant et charmant » amadouait les plus rognes des municipaux et l’un d’eux avoue n’avoir pu se tenir de l’attirer à l’écart pour l’embrasser.

Le fils Capet et Antoinette « jouissent d’une aisance qu’ils ne connaissaient plus depuis neuf mois, écrit un gazetier ; on a donné à l’enfant une quantité de joujoux de son âge. » C’étaient leurs derniers jours de vie commune ; peut-être, à la veille de commettre le forfait, Chaumette avait-il senti s’éveiller « sa sensibilité de père ; » il était l’homme de ces contrastes et s’attendrissait par boutades ; mais il n’en comptait pas moins les heures accordées au fils et à la mère et il avait déjà fixé celle où leur martyre allait commencer.


Ces beaux jours du plein été furent gros de tragédies dans la morne Tour des Templiers. Depuis qu’on leur marchandait les visites de leur fille Pierrette, les Tison restaient sombres et taciturnes. Ce père et celle mère en sont à jalouser la prisonnière qu’ils espionnent et qui, elle, a le bonheur de vivre avec son enfant ; ils passent leur rancune sur le petit Roi que Tison accuse d’être un délateur ! Depuis qu’elle a dénoncé Toulan, Lepitre et les autres, la Tison, elle, n’est plus la même : elle languit, se lève tard, refuse de prendre l’air sur la plate-forme ou dans le jardin ; quand, chaque soir, les nouveaux commissaires se présentent, elle guette leur arrivée, les dévisage… Jamais ceux qu’elle a livrés ne reparaissent. Elle rentre dans sa chambre et, à travers la cloison, on l’entend parler toute seule, aux prises avec des cauchemars qui l’agitent. Elle s’alarme de l’indisposition du Dauphin ; s’il allait mourir faute de soins ! Le remords la torture d’être la cause de tout le mal : Thierry, le médecin des prisons, la soigne ; mais sa maladie n’est pas de celles que les remèdes guérissent. Le 28 juin, son mari l’oblige à révéler aux commissaires que la Reine et Madame