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toute compétition similaire : l’heure est venue de frapper le coup décisif en séparant le Dauphin de sa famille : on se débarrassera ensuite « des femmes » au moment opportun.

En juin, l’enfant est de nouveau alité : il s’est blessé en jouant et la Reine désirerait consulter à ce sujet le docteur Hippolyte Pipelet, troisième du nom, spécialiste fameux qui demeure rue Mazarine. La Commune ne juge pas à propos de faire appeler cet « artiste » et arrête que « le malade sera traité par le bandagiste ordinaire des prisons. » Pourtant la Reine « exige » Pipelet, et l’obtient. Elle a ses raisons et l’on voit poindre ici celle conception satanique qui, désormais, sera mêlée à l’histoire du Temple et soulèvera un tel cri de réprobation et d’horreur que, après un siècle écoulé, l’écho en persiste encore.

Hébert et Chaumette sont venus au Temple, un soir, dans les premiers jours du mois ; ils ont vu le petit Capet souffrant du mal spécial dont il est atteint. Quelle épouvantable imagination leur a traversé l’esprit lorsqu’ils redescendent l’escalier ? Quelles obscènes grossièretés ont-ils proférées dans la salle des Commissaires avant de quitter le Temple ? Se représente-t-on ces deux hommes, retournant par ce soir d’été vers l’Hôtel de Ville, combinant en collaboration la machination dont ils feront usage en temps propice et évaluant tout le parti qu’ils en pourront tirer pour confisquer le fils et tuer la mère, — par respect pour les bonnes mœurs ? Car l’ignoble accusation germa de ce jour-là, et c’est parce qu’elle en fut informée, — par Turgy ou par un autre, — que la Reine voulut en appeler à l’autorité du docteur Pipelet. C’est par lui-même qu’on est instruit des circonstances de son intervention : il doit aller, de sa personne, à la Commune, où il est d’abord hué avec frénésie, en sa qualité d’ancien médecin de la Cour ; quand il peut enfin se faire entendre et solliciter de cette meute l’autorisation d’entrer au Temple, les braillards tentent de l’en détourner en lui déclarant « qu’il ne sera payé que comme pour un simple prisonnier… » Le lendemain, il pénètre dans la Tour sous la conduite des municipaux qui font déshabiller le jeune prince, le placent debout sur une chaise devant la fenêtre et ordonnent au médecin « de constater que l’enfant a dans le sang un vice qui doit le faire périr. » Ils lui signalent particulièrement le mal local dont ils imputent l’origine à l’impudeur de la mère.