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Depuis quelques jours le petit Roi souffrait d’un point de côté « qui l’empêchait de rire, » quand, le 9 mai, un jeudi, vers sept heures du soir, il se plaignit d’un violent mal de tête : une forte fièvre survint ; on coucha l’enfant qui fut pris d’étouffements. La Reine, très inquiète, réclama aussitôt un médecin ; le soir même, la demande était soumise à la Commune ; Hébert, qui était allé au Temple dans l’après-midi, prit la parole, attestant que c’était « une maladie de commande. » « J’ai vu, dit-il, aujourd’hui le petit Capet ; il jouait, sautait et paraissait se porter très bien. » En conséquence de ce témoignage, la consultation fut refusée. Le surlendemain, un membre du Conseil Général se préparait à donner lecture du bulletin de santé du jeune prisonnier ; mais sur la réclamation des assistants, le président dut passer à l’ordre du jour. Le dimanche seulement, le Conseil Général consentit à envoyer au Temple, non pas le docteur Brunier qu’avait désigné la Reine, mais le citoyen Thierry, médecin ordinaire des prisons, afin de ne pas choquer l’égalité.

Le jeune Roi fut malade durant une quinzaine : on peut dater sa convalescence du 29 mai, jour où Marie-Antoinette demande aux Commissaires le roman de Gil Blas « pour amuser son fils. » Nouvelle discussion au Conseil Général auquel la requête est soumise. Un membre, sans doute un habitué du Temple, observe que cet enfant, « étant très spirituel, très intelligent, ne pourrait apprendre qu’à faire de très mauvais tours en étudiant la morale et les principes de Gil Blas. » Un autre conseille plutôt Robinson Crusoé. Un troisième se désintéresse du choix d’un livre : « C’est un enfant gâté ; sa mère lui a inculqué ses principes ; vous ne le gâterez pas davantage… » Gil Blas est accordé. De quelques jours on ne parlera plus du Temple : la Commune livre sa grande bataille et remporte sa grande victoire : elle a soumise la Convention et obtenu d’elle qu’elle se mutilât. Chaumette peut se croire omnipotent et rêver l’inaccessible : ceux qu’il vient d’abattre étaient des rivaux dangereux : on possède en effet la preuve, — Couthon et Saint-Just le déclareront au nom du Comité de Salut public, — que ces Girondins, maintenant vaincus, projetaient « d’enclouer le canon d’alarme, de s’emparer du Temple et de proclamer Louis XVII. » Délivré de cette concurrence, Chaumette combine les moyens de parer dans l’avenir à