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jamais : il est au Temple ; s’ils pouvaient se saisir de ce fantôme, c’est autour de lui qu’ils se rallieraient… » Car toujours et partout, — à l’Hôtel de Ville comme à la Convention, aux Comités comme aux conciliabules de Maisons-Alfort ou de Vanves, — c’est vers l’orphelin prisonnier que se dirigent toutes les pensées ; cet innocent est l’axe autour duquel tourbillonne l’ouragan révolutionnaire. Hébert n’est pas d’avis que l’on conserve le Dauphin au Temple : « Que ce petit serpent et sa sœur soient jetés dans une ile déserte ; je ne connais pas d’autre moyen raisonnable de s’en défaire, et il faut pourtant qu’on s’en défasse à tel prix que ce soit. Au surplus, qu’est-ce qu’un enfant quand il s’agit du salut de la République ? Celui qui aurait étouffé dans leurs berceaux son ivrogne de père et sa gueuse de mère, n’aurait-il pas fait la meilleure action qu’on puisse imaginer ? Voilà mon avis, f… ! Attrape qui peut ! » Chaumette, le bon apôtre, n’était pas pour « l’île déserte, » mais, avec plus de patelinage dans l’expression, il exposait un programme semblable à celui que préconisait grossièrement Hébert : le baron « lue, après sa sortie du Temple, se détermina à voir le procureur général de la Commune, afin d’obtenir l’autorisation de rentrer au service de la famille royale : Chaumette l’accueillit avec effusion, lui parla « confidentiellement, » raconta sa jeunesse mouvementée et rude dont il jouait à tous propos ; puis, laissant entrevoir tout l’intérêt que lui inspirait le Dauphin : « Je veux, dit-il paternellement, lui faire donner quelque éducation ; je l’éloignerai de sa famille pour lui faire perdre l’idée de son rang… » Tel était le verdict et dès avant la mort de Louis XVI.

Depuis que le jeune prince est devenu Roi, Chaumette s’intéresse beaucoup au Temple ; presque chaque jour, il en parle au Conseil général, divulguant les précautions prises ou à prendre, ou, même, racontant les visites qu’il y fait : car il y va très souvent ; Hébert s’y rend aussi quelquefois ; un soir, à dix heures, ils arrivent ensemble, ivres tous les deux. C’est grâce à eux surtout, aux discussions que leurs récits suscitent dans la Commune, que nous sommes renseignés sur l’existence des prisonniers. Matériellement elle n’est pas pénible : il semble que la plupart de leurs réclamations sont favorablement accueillies ; à mesure que coulent les jours, la surveillance se lasse et s’émousse ; le grand mouvement de fournisseurs, de