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autrefois il avait fait exalter le patriotisme, les victoires. Alors, l’intérêt de la Grèce se sépare-t-il du loyalisme ? Sans doute, les avertis voient à l’intérieur la consultation populaire faussée (moins de 200 000 votants expriment leur opinion en décembre 1915, contre plus de 750 000 aux élections de juin précédent) ; à l’extérieur, l’évidente complicité des chefs de l’armée et des ennemis de la Grèce, la mobilisation détournée de son sens primitif, menaçant les protectrices de l’Hellade ; en Macédoine même, cette armée divisée, une partie brûlant de combattre le Bulgare, l’autre, par admiration ou par peur, prête à ouvrir le pays aux envahisseurs allemands. Au moins l’armée est-elle censée encore monter la garde à la frontière ; les intentions des centraux ne sont point déclarées. Pouvait-on, par une révolution trop prompte, n’offrir aux Bulgares que l’entrée facile dans une Grèce affaiblie, désunie, désarmée par la guerre civile ?

La situation générale à la fin de 1915 est-elle au surplus favorable ? La Serbie est envahie, la Roumanie hésitante, l’Entente indécise. Aux yeux du peuple, peu instruit des forces latentes des puissances occidentales, la politique royale, qui apparaît neutre, épargne à la Grèce les catastrophes qui ont accablé la Belgique, la Serbie. On a dit de M. Vénizélos : « Pour un homme politique, il a un défaut : il veut toujours pouvoir étaler ses actions et dire : elles sont pures, elles sont justes. » Or, il faut bien l’avouer, est-elle bien tentante alors pour un étranger, un Oriental, l’alliance avec l’Entente, qui avait refusé le concours grec aux Dardanelles, qui avait offert à la Bulgarie le butin de la Macédoine (14 septembre 1915), qui avait lancé au secours des Serbes une expédition insuffisante et tardive, dont les hommes politiques et les chefs militaires restaient hypnotisés par le front occidental ?

Enfin, l’armée grecque, mobilisée par M. Vénizélos en septembre 1915, reste sur place inactive. Ce maintien sous les armes de toute la population valide sert indirectement les desseins du Roi : il fatigue et décourage ; le peuple se laisse représenter M. Vénizélos comme la cause de ses malheurs ; sans lui, la Grèce resterait neutre, avec l’Allemagne garante de son intégrité, sa mobilisation évitée, aucun risque à courir. M Vénizélos n’avait-il pas provoqué l’envoi des troupes alliées en Macédoine ?