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se rendre maître de la police, du contrôle des chemins de fer et des postes ; le 25, on lui donne l’ordre d’occuper la pointe de Karabouroun, dont le fort ferme à l’Est la rade même de Salonique : un bataillon de zouaves, deux pelotons de cavalerie, trois batteries à cheval, assistés des compagnies de débarquement française, anglaise, russe et italienne, se présentent le 28 devant le vieux fort turc, dont le gouverneur se soumet. Dans la nuit du 31 janvier au 1er février, le premier zeppelin survole Salonique, détruit la Banque grecque, tue onze civils, deux soldats français et anglais : des signaux lumineux ont été vus pendant le raid. Le général Sarrail est laissé libre de proclamer l’état de siège. Mais des scrupules juridiques arrêtent encore les gouvernements : ils ne cessent de répéter qu’ils ne veulent point porter atteinte à la souveraineté de la Grèce, ils offrent même d’indemniser les pauvres des dégâts dus aux aéroplanes et aux dirigeables ennemis. Ils envisagent une collaboration grecque éventuelle, mais veulent préparer cette alliance par tous les ménagements propres à réserver une évolution. Pourtant, déjà en Grèce la révolution semblait poindre.


Certains hommes politiques grecs, plus clairvoyants que les diplomates de l’Entente, avaient, dès 1915, aperçu toutes les conséquences de la trahison latente de Constantin. Pourquoi n’aiguisèrent-ils pas de suite jusqu’au bout, jusqu’à la révolution incluse, leur sagacité politique ? Ce fut longtemps après la révolution elle-même que M. Vénizélos accepta de dévoiler les motifs d’une pusillanimité apparente. Il y a quelques mois, il voulut bien encore les rééditer, les préciser devant nous. « Il faut du temps pour muer en insurgé un ministre. Pouvais-je tout d’un coup passer de mon cabinet à la montagne ? La révolution, la scission de la Grèce ne peut être que la suprême arme. Elles nous doivent de l’indulgence, vos démocraties occidentales, pour lesquelles un roi étranger parait encore un demi-dieu. »

Les yeux pétillants du charmeur souriaient en songeant à la respectueuse timidité de l’Entente ; mais le patriote pensait aux angoisses de jadis : toute l’œuvre ancienne rendue vaine, l’unité, la résurrection de l’hellénisme autour du Roi dont