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aguerries par quatre ans de peines, résistent tant bien que mal ; les recrues fondent. Les autorités italiennes de Vallona barrent la route du Skoumbi.

A la mi-décembre, l’armée serbe gagne la côte en deux groupements principaux : l’un au Nord (40 000 hommes environ), avec le prince Alexandre, ( une division et demie venue d’Ipek, de Podgoritza, Plava et Goussigné, trois divisions parties de Prizrend et de Koukouch), atteint Scutari et Alessio ; l’autre, au Sud (environ 50 000 hommes), concentré dans l’Albanie centrale, vers Elbassan, Tirana, Kavaia, a pour objectif Dourazzo. Le roi Pierre guide celui-ci ; quelques éléments de cavalerie le protègent ; il emmène 10 000 civils qui s’expatrient plutôt que de subir la loi autrichienne. « Il y aura toujours une Serbie, mais il n’y aura plus de Serbes. » Ainsi se désespère le vieux roi. Et à ceux qui les voient passer, les hommes, amaigris, décharnés, semblent des momies ou des ombres. Il n’y a presque plus d’armes, les munitions sont insuffisantes : il n’y a plus que 50 000 fusils, 500 mitrailleuses, une cinquantaine de canons, 3 millions de cartouches, 1 500 obus. La plus grande partie du train n’a pu être sauvée : le matériel a été ou détruit, ou vendu, ou utilisé pour le chauffage. Les chaussures, les vêtements sont en loques ; impossible de les renouveler.

L’armée s’installe provisoirement sur le littoral albanais insalubre, et l’on doit surtout ouvrir des hôpitaux provisoires : dans les rues des villages, à bout de forces, les soldats meurent. Les navires français recueillent les plus faibles, les évacuent sur Bizerte, la Corse. Mais l’armée austro-hongroise menace ; la côte basse de l’Albanie du Nord n’offre aucun bon port fermé pouvant servir de base à l’armée serbe qu’il faut munir de vivres, d’armes, de munitions, d’équipements ; pas de voies de communication de port en port ; la population se révèle hostile. Il convient donc de transporter l’armée dans un lieu plus sûr, où elle puisse se reposer sans être menacée, se réorganiser ensuite. Les Italiens, inquiets de l’avance autrichienne, demandent que les troupes serbes continuent à combattre, qu’elles couvrent leurs trois brigades immobiles à Vallona. L’Entente a envoyé en Albanie une double mission militaire dirigée par le général français de Mondésir et le général anglais Taylor. Le 17 décembre, les gouvernements décident que les Serbes seront embarqués.