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Vers le soir, des tranchées boueuses la Marseillaise s’élève, se fait écho de ligne en ligne, entrecoupée des cris de « Vive la Légion ! », « Vivent les Zouaves ! ». L’ordre est d’attendre. Soudain les légionnaires bondissent par-dessus les parapets, se ruent sur l’ennemi à la baïonnette. Au jour, le village de Bogdantzi sur le Tchinarli est enlevé ; les derniers régiments traversent le pont de Guevgueli musique en tête. Les casernes, la gare sont incendiées, la voie est bouleversée ; le le 11 au soir, le pont saute. L’armée d’Orient a franchi la frontière grecque, et l’ennemi ne l’inquiète plus.


L’attaque germano-bulgare visait la mise hors de cause de la Serbie, l’anéantissement de l’armée serbe. L’intérêt de l’Entente était donc de sauver celle-ci. La tentative par Salonique n’avait pu réussir : les maigres troupes de Sarrail rentraient dans leur coque, fortifiaient le camp retranché. L’armée serbe, rejetée sur l’Adriatique, ne réclamait pas moins assistance : il fallait en recueillir les débris, la soigner, la réarmer et la rejeter encore à la conquête de la patrie.

A la veille de l’invasion ennemie, l’armée serbe a 400 000 hommes, 70 000 chevaux, 65 000 bœufs. Quand elle se présente sur la côte Adriatique, on recense 150 000 hommes, 40 000 chevaux, 10 000 bœufs. Le feu, le choléra, le typhus, la famine, ont fait dans ses rangs des coupes sombres. Le soldat qui quitte sa maison, sa famille, qui a la perspective de vivre à l’étranger désormais, persuadé que toute lutte est maintenant inutile, n’obéit plus que passivement, ne réagit plus contre la misère. La retraite à travers l’Albanie montueuse, les fatigues pour passer sans cesse des hautes crêtes aux vallées profondes, sur la glace et sous la pluie, le ravitaillement insuffisant, les pillages des Albanais ont achevé de le déprimer. Le pays est vide ; les soldats, mourant de faim, vendent leurs fusils aux indigènes ; les 50 000 prisonniers austro-hongrois, que cette lamentable armée traine avec elle, se battent pour ramasser à terre les miettes du pain des gardiens ; trois, quatre, cinq jours se passent sans distribution aucune ; en quatre mois, les hommes reçoivent en moyenne pour cinq jours 200 à 300 grammes de galette de maïs, et c’est tout ; pas de foin pour les chevaux ; pas de souliers pour les fantassins ; les vieilles classes,