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à Guevgueli ; les voitures légères, les parcs gagnent Demir-Kapou par les pistes. Deux fois les Bulgares tentent de franchir la Tcherna, le 3 décembre par le pont de Vozartzi et le gué de Brouchani, le lendemain à Rosoman et Sivets. Nos canons, nos mitrailleuses les dispersent ; devant Vozartzi une petite pièce de montagne, remplaçant une batterie de 75, tint toute la journée sous le bombardement ennemi ; à Rosoman, une seule patrouille de chasseurs d’Afrique vint à bout de tout un parti de cavaliers bulgares qui voulait prendre pied sur la rive droite du fleuve ; tandis que, dans les tranchées, au-dessus de Krivolak, à 150 mètres des Bulgares, les feux étaient restés allumés, dans la nuit du 3 au 4 les positions sont évacuées ; après 20 ou 30 kilomètres, le jour fixé pour cette dernière étape, le 4 au soir, derrière la tête de pont de Demir-Kapou, pas un homme ne manque à l’appel.

Il faut traverser les Portes de Fer, brèche étroite dans les calcaires, précipice noir entre les murailles rectilignes et grises, où la voie ferrée serpente en corniche. Toute l’armée doit s’écouler par cette trouée unique. Une arrière-garde le long de la Bochava la couvre. L’infanterie s’engage sur la voie elle-même, à la file indienne, chaque bataillon précédé de son chef la lanterne à la main dans la nuit noire ; pas de lune, le ciel bas, chargé de nuages ; les ponts sont à claire-voie, des planches manquent : la moindre défaillance, c’est la chute dans le ravin ou dans le torrentueux Vardar. Les blessés doivent emprunter les sentiers de chèvres des montagnes. Là-haut, c’est le dégel : la boue se colle aux pieds, rend la marche exténuante ; les chevaux glissent, les bats se déplacent, des haltes fréquentes s’imposent ; des bougies allumées, fichées au bord des casques, éclairent seules les pistes rares. En route des hommes tombent ; le médecin qui guide la troupe ne se permet point de repos. Tel cet aide-major dont les rapports officiels n’ont pas livré le nom, qui, après deux jours passés à relever les blessés sur le champ de bataille, conduit par une nuit noire sa petite bande d’infirmiers et de brancards par le col de Tchelevels vers la gare de Stroumitza : après trente-six heures consécutives de soins, de marche, de veille, il meurt épuisé, abordant au port.

Les Bulgares ne veulent point s’aventurer dans les gorges à notre suite, mais, guidés par des comitadjis qui ont fouillé