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à Nicolas II, à l’égard du Japon, un sentiment d’antipathie, je dirai même de rancune, qui ne fut peut-être pas étranger à la politique qu’il suivit en Extrême Orient et qui eut son épilogue dans la guerre russo-japonaise.

Elevé dans un esprit d’effacement et d’obéissance passive, Nicolas II conserva, sa vie durant, à la mémoire de son père un culte presque superstitieux. On sait que l’empereur Alexandre III personnifiait l’idée du pouvoir monarchique absolu et que, pendant treize ans, il gouverna la Russie d’une main de fer, en lui appliquant un système étroit de conservatisme et de centralisation bureaucratique. L’ensemble de ce système fut érigé en dogme par les anciens conseillers de ce monarque qui restèrent tous en place au début du nouveau règne et qui firent tous leurs efforts pour maintenir le jeune Empereur dans le respect de ce qu’ils appelaient « les traditions léguées par le Tsar Pacificateur. » Toute velléité de la part de Nicolas II de s’affranchir de ces traditions était tellement étouffée par son entourage, que, — on peut presque le dire sans métaphore, — pendant les premières années du nouveau règne, l’Empire russe continua à être gouverné par l’ombre de l’Empereur défunt. Hélas ! il n’y a aucune exagération à ajouter que, plus tard, lorsque les conseillers d’Alexandre III eurent cédé la place à des hommes choisis par Nicolas II lui-même, cet Empire ne fut pas gouverné du tout, ou le fut de la manière incohérente que j’ai déjà signalée et déplorée.

Le culte de l’empereur Nicolas II pour la mémoire de son père prenait, en certaines occasions, des formes assez inattendues : ainsi il ne voulut jamais, lui, chef suprême de l’armée russe, occuper dans les rangs de cette armée un grade supérieur à celui de colonel, auquel il s’était élevé sous le règne précédent ; acte de piété filiale, touchant, mais un peu puéril, et qui, on le devine, ne contribua nullement à rehausser son prestige dans les milieux militaires : on ne l’y appelait que « le Colonel, » et ce sobriquet prit, à la longue, une nuance de moquerie dédaigneuse.


DÉBUT DE RÈGNE

La mort de l’empereur Alexandre III, survenue plus tôt qu’on ne pouvait s’y attendre, avait ranimé les espoirs du grand